« Le Cercle rouge » est un film de Jean-Pierre Melville, sorti en 1970. Il met en scène, entre autre, Bourvil – qui sera crédité au générique en tant qu’André Bourvil pour la seule fois de sa carrière –, Alain Delon et Yves Montand.
Près de Marseille, Corey, un voleur expérimenté, est libéré sur bonne conduite du pénitencier où il était enfermé depuis cinq ans. Il ne tarde pas à s’attirer des ennuis avec son ancien associé, et prend la route de Paris. Durant son voyage, il fait la connaissance de Vogel, un truand qui s’est échappé durant son transfert en prison. Les deux hommes se lient très vite, et, après quelques péripéties, finissent par atteindre Paris.
« Le Cercle rouge » est un film d’ambiance, situé dans les milieux interlopes des malfrats parisiens, où l’on suit avant tout des hommes : il y a bien une intrigue sous-tendue derrière, mais, ce qui compte, ce sont les parcours de ces âmes en peine, Corey, Vogel, Jansen et Mattei. Melville s’attache donc à créer une atmosphère assez lourde, oppressante et poisseuse. Les couleurs sont froides, les personnages sont désabusés, et le monde dépeint est noir et cruel.
Le titre du film vient d’une citation apocryphe de Râmakrishna, dont une phrase en particulier, rappelée au début du film, est intéressante : « […] Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
Melville met ainsi l’accent sur le caractère inéluctable, sans retour, du chemin emprunté par les truands. La symbolique du ‘cercle rouge’ est également très présente tout au long du film : un rond tracé à la craie à l’extrémité d’une queue de billard, le sang qui s’étend sur une chemise tout autour d’un impact de balle, ou bien encore un ruban écarlate noué autour de la cuisse d’une danseuse.
On peut également considérer le ‘cercle rouge’ comme la métaphore d’un voyage sans vraiment de début ni de fin, un cycle ininterrompu de violence, une odyssée sanglante.
Outre cette ambiance assez sombre et pessimiste, le film est une réussite sous deux autres aspects.
Premièrement, au niveau de son casting d’exception. Les trois rôles principaux, Corey, Jansen et Mattei, sont tous trois très justes, et chaque personnage bénéficie d’une grande qualité d’écriture, d’une certaine profondeur, et d’un temps d’écran suffisant pour développer sa personnalité. En outre, les trois acteurs sont très bons : les vétérans Bourvil – qui n’a donc pas fait que des comédies – dont c’est l’un des derniers films et Yves Montand, ainsi qu’un jeune Alain Delon, qui, avant de devenir un patapouf aviné et un brin extrémiste, était dans le temps un acteur d’une grande classe et d’un charisme impressionnant.
Deuxièmement, le film possède une séquence de cambriolage de vingt-cinq minutes d’une virtuosité incroyable. Pendant toute cette durée, Melville filme avec une grande précision et sans artifice le déroulement d’un casse, en nous montrant de manière clinique comment les voleurs s’y prennent. Durant presqu’une demi-heure, pas une parole n’est échangée, et pourtant, l’on ne s’ennuie pas un seul instant tant ce passage est à couper le souffle – sans doute l’une des meilleure scènes de cambriolage de tous les temps. Le plus saisissant, c’est que tout est très simple : un plan efficace, où l’on ne nous montre pas tellement la préparation des auteurs (et pourtant, j’adore les films de plan), où l’on ne sort pas de ressort dramatique absurde, de grain de sable au dernier moment pour faire monter le suspense. Tout est fait avec sobriété, simplicité et élégance, et pour peu que l’on aime ce genre de séquence, l’on ne peut être que captivé, subjugué par la maîtrise et le génie de Melville.
Avec « Le Cercle rouge », son avant-dernier film, Jean-Pierre Melville signe un film d’une grande intensité, qui s’intéresse, avec une puissance dramatique certaine, à l’odyssée sanglante et sans retour de quelques criminels qui évoluent dans un Paris triste et vicié, où, comme le déclare avec dégoût et fatalisme le directeur de la police judicaire, il n’y a pas d’innocent, tous les hommes sont coupables.