Rosi se passionne pour ce que l’individu révèle de l’Histoire qui virevolte autour de lui. À travers Gian Maria Volontè, il ne fait pas seulement ici le récit d’un exilé politique du temps du Duce, mais aussi celui d’une Lucanie antique qui n’a pas changé beaucoup de visage. Pendant que la société s’écroule autour du fascisme belliqueux et impérialiste, c’est la bourgade de Gagliano qui, dans les yeux de Carlo Levi, l’exilé, s’effrite sur son socle d’argile... comme déjà des siècles auparavant.
Que cette région d’Italie fût considérée comme une terre d’exil pour les Italiens eux-mêmes, ça en dit déjà long sur le sort vécu par ses habitants. Exilés depuis toujours au point que l’Histoire a fini par les rendre absurdement plus proches de New York que de Rome, ils vivent peut-être dans l’euphémisme d’un enfer terrestre mais surtout en un lieu unique où l’on ne s’étonne pas que des marginaux comme Levi, puis Rosi qui en a fait l’histoire, y puisent en fait davantage d’inspiration que de rancœur. Le premier écrira un roman, le second fera le film : dans ce dernier en tout cas, l’image d’une Gagliano hantée par son passé et isolée du mussolinisme par le mépris dont elle est l’objet est d’un romantisme rare. Perle historique auréolée d’un charme effrayant et surnaturel, l’œuvre pose question : un peu de la Lucanie de Strabon n’est-elle finalement pas parvenue jusqu’à nos jours ?