Les projets se suivent et se ressemblent au sein du cinéma français à (très) gros budget. Pour cette nouvelle adaptation de Dumas, Pathé a refait appel à Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, scénaristes de la duologie des Trois Mousquetaires sortie l'an dernier. Mais en plus de chapeauter la narration, le duo passe ici également derrière la caméra, un poste précédemment occupé par (le non-regretté) Martin Bourboulon.

Et on connaît la difficulté à réussir un film d'époque, où les dialogues en vieux français jouent en permanence sur un fil, et où l'écriture doit être irréprochable pour ne jamais faire basculer l'ensemble dans le grotesque. Malheureusement, le premier tiers du film s'avère particulièrement poussif à ce niveau-là.

La narration semble en effet s'attarder sur des caractérisations pas foncièrement utiles, et au contraire charcute des pans de récit pourtant majeurs. Le tout saupoudré de certaines interprétations sérieusement en demi-teinte. Difficile alors d'entrer dans un film qui se veut être une grande épopée épique, quand l'écriture ne suit pas...

Heureusement, le long-métrage rectifie superbement le coche au début de son deuxième tiers, précisément quand le récit de vengeance débute. L'œuvre se repose bien plus sur son matériau original, ce qui lui assure inévitablement une réussite quasi assurée. Car oui, il faut bien rappeler que le récit de base, signé Dumas, est tout simplement hallucinant de justesse. La construction de cette machination vengeresse diabolique est sidérante d'ingéniosité, et il est bien difficile de ne pas être happé par ces représailles jubilatoires.

Mais ici, on parle de qualité d'adaptation filmique. Et il est essentiel de ne pas confondre la qualité du matériau de base, à la qualité purement cinématographique de son adaptation. Puisqu'en termes de pur cinéma, le premier mot qui vient ici à l'esprit est académique. Que ce soit pour les images ou la musique, le constat est le même : c'est très plaisant à la vue et à l'ouïe, mais c'est aussi très lisse, très convenu. Et peut-être un peu trop.

On a certes une jolie palette de réalisation, avec notamment une alternance de plans larges, de travellings, et de plans zénithaux. Mais on a surtout, 90% du temps, des dialogues en champ-contrechamp pas franchement stimulants. La mise en scène manque globalement de folie, et l'ensemble finit rapidement par s'enrayer dans un mécanisme un peu trop bien huilé. On sent malheureusement l'emprise de Pathé sur l'œuvre, et sa logique criante d'industrie massive : limiter la prise de risque, afin d'assurer la rentabilité.

Pour contrebalancer mon propos, il serait très malhonnête de remettre en question l'intégralité des choix visuels du film. Car malgré cet académisme frustrant, force est de constater que l'ensemble est bel est bien porté par un grand souffle épique. Plus par l'écriture que par l'image ? Sans doute. Mais le résultat est bien là.

Associé à un matériau de base aussi grandiose, Pathé a voulu jouer la sécurité, à travers un artisanat certes paresseux artistiquement, mais redoutablement efficace. Les réalisateurs savent indéniablement quoi faire de leur caméra, et Le Comte de Monte Cristo réussit là où Les Trois Mousquetaires avait échoué : le spectateur sort du film avec des images plein la tête, et une pelletée de plans vraiment splendides (et marquants). C'est indéniable, l'œuvre a réussi son pari de grande épopée démesurée.

Et oui il y a du budget, mais pour une fois chez Pathé, ça se voit. Le filmage en décors réels donne une vraie ampleur au récit, avec certains plans larges assez canons, et une photo plutôt vive et colorée. Contrairement à un certain Les Trois Mousquetaires D'Artagnan (ok j'arrête). Au fait, je vous ai déjà parlé de la photo d'Astérix et Obélix L’Empire du Milieu ? (promis là j'arrête)

Par ailleurs, étant originaire de Marseille, et ayant vécu 20 ans dans cette magnifique région, j'avoue avoir été particulièrement sensible à l'atmosphère méditerranéenne, qui transparait à merveille dans le long-métrage. En plus des décors splendides, le travail sur l'éclairage, et plus particulièrement la mise en valeur des intérieurs, est plus que notable.

Côté interprétation, l'écriture de l'oeuvre de Dumas est portée par un Pierre Niney impérial. L'acteur (dont le talent n'est plus à prouver) se démarque aisément, avec une justesse remarquable dans sa diction et ses accents. Un compliment que l'on peut également adresser à l'excellent Laurent Lafitte, mais peut-être un peu moins à d'autres personnages. Et notamment une Anamaria Vartolomei qui va finir par s'embourber dans une caricature italienne un brin gênante.

Il me paraît par ailleurs important de préciser que je n'ai pas lu l'œuvre de Dumas, et je pense que cela m'a épargné un bon nombre de reproches à adresser au film. On sent en effet que certains aspects du film ont été rabotés pour que l'ensemble tienne en 3h, en particulier la thématique du bien et du mal dans la vengeance, complètement éclipsée par cette adaptation. Ici, tous les évènements s'enchaînent de manière très factuelle, sans jamais laisser au personnage d'Edmond le temps de dévoiler ses questionnements moraux. En découle ainsi un protagoniste vraisemblablement bien plus lisse qu'à l'origine.

En plus de caractérisations de personnages décevantes, l'œuvre fait preuve d'un manque cruel d'impact émotionnel au global, avec certaines scènes qui se voudraient marquantes, mais qui loupent un peu le coche. Difficile de ne pas ranger le climax final dans cette case, avec des résolutions amoureuses vraiment mal amenées. Mais surtout une séquence de cape et d'épée, à l'ambition énorme, qui s'intègre finalement très mal au reste de l'œuvre.

Je me permets alors de remettre une pièce dans la machine, mais pourquoi ne pas avoir adapté ce Comte de Monte Cristo à travers deux, voire trois films distincts ? Un choix d'autant plus incompréhensible quand on constate que Les Trois Mousquetaires ont eu droit à une duologie (et possiblement trilogie à l'avenir)...

Marqué par un académisme frustrant, Le Comte de Monte Cristo n'en reste pas moins le blockbuster ultra efficace attendu. Car malgré certains problèmes de rythme et une paresse artistique globale, difficile de ne pas se laisser emporter par le grand souffle épique de l'ensemble.

En bref, une adaptation convenue mais efficace d'un récit (vraiment) hors du commun. Un excellent moment oui, mais définitivement pas un excellent film.



Mon compte de critiques ciné sur Instagram : https://www.instagram.com/le_videoclub_/

Le-Videoclub
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2024

Créée

le 19 août 2024

Critique lue 4 fois

Le-Videoclub

Écrit par

Critique lue 4 fois

D'autres avis sur Le Comte de Monte-Cristo

Le Comte de Monte-Cristo
Plume231
3

Le Comte n'est pas bon !

Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise adaptation, il y en a des fidèles et d'autres qui s'éloignent plus ou moins du matériau d'origine. Et la qualité d'un film, issu d'une adaptation...

le 1 juil. 2024

198 j'aime

42

Le Comte de Monte-Cristo
Behind_the_Mask
8

La vengeance aux multiples visages

Il faudrait un jour se rendre compte que, finalement, Alexandre Dumas avait déjà tout compris à notre culture populaire avec plus de cent cinquante ans d'avance : le feuilleton, le revenge movie, les...

le 29 juin 2024

87 j'aime

8

Le Comte de Monte-Cristo
abscondita
9

"Je suis le bras armé de la sourde et aveugle fatalité"

Le Comte de Monte Cristo est une histoire intemporelle et universelle qui traverse les âges sans rien perdre de sa force. Cette histoire d’Alexandre Dumas a déjà été portée plusieurs fois à l'écran...

le 30 juin 2024

53 j'aime

14

Du même critique

Le Roman de Jim
Le-Videoclub
3

Laetitia Dosch a du sang sur les mains

Dans la liste des incompréhensions totales de l'année, on pourra aisément insérer le nouveau long-métrage des frères Larrieu. Unanimement acclamé par la critique, Le Roman de Jim est au mieux un...

le 25 août 2024

26 j'aime

5

Les Chambres rouges
Le-Videoclub
10

Maelström

On peut dire que la réalisation québécoise a le vent en poupe. Après la série démente de Xavier Dolan La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, et le génial Simple comme Sylvain de Monia Chokri,...

le 12 févr. 2024

6 j'aime

Furiosa - Une saga Mad Max
Le-Videoclub
9

De sang et de chrome

Déjà exaspéré par les vagues de comparaison avec Fury Road que va subir le film. Un pur conte, déployant une mythologie invraisemblable qui ravira les fanboys absolus de cet univers (dans mon genre)...

le 22 mai 2024

5 j'aime