Non, ceci n'est pas un film historique qui nous plonge à peu près fidèlement dans le XIXe siècle. J'y ai cru au début, mais non.

En revanche, dans un autre monde, celui des Airman (Eoin Colfer), des A la croisée des mondes, là c'est autre chose. Suivez le guide.

Le Comte de Monte-Cristo - film se veut une adaptation du feuilleton-livre du même nom d'Alexandre Dumas. Pour ceux qui ne connaitraient pas ce pavé de 1500 pages, l'argument est le même : un jeune marin promis à un brillant avenir, trahi par ceux qu'il pensait ses amis, envoyé en prison, et qui en ressort au bout de vingt ans, richissime, et voulant se venger. Le tout se passe dans les années 1815-1835.

Avec un tel résumé, des réalisateurs, Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière, qui n'ont donné aucune contre-indication, on s'attendait raisonnablement à une reconstitution dans le Marseille et le Paris du début du XIXe siècle d'une histoire fictive.

J'ai haussé le sourcil dans les cinq premières minutes, écarquillé les yeux dans le premier quart d'heure, et au bout de la première demi-heure, j'hésitais entre le rire et la consternation. Je n'aurais pas dû, la suite du film me l'a prouvé après. Allez, une petite liste pour le plaisir, en vrac :

- Angèle quitte le bateau sur lequel elle a été sauvée... en robe. Dommage, il n'y a pas de femmes sur les bateaux, certains pensaient même que ça portait malheur. Un capitaine galant homme aurait fait venir, sur ses propres deniers ou contre remboursement futur, une robe pour que la jeune femme puisse quitter le bateau avec toute sa réputation, mais associer "galant homme" et Danglars est un peu présomptueux. En tout cas, rien de tel n'a été suggéré.

- En revanche, ladite Angèle arrive chez son frère... en travesti, c'est à dire en pantalons. Ce qui était illégal à l'époque. Pourquoi ce déguisement, alors que rien ne vient le justifier dans le film ?

- Des femmes en cheveux (c'est à dire, cheveux détachés) qui battent la campagne et assistent à des déjeuners (Mercédès, c'est de toi dont je parle) alors qu'à cette époque, cette coiffure était réservée aux prostituées. Des femmes en chignon, mais sans chapeau, qui se promènent dans les rues de Paris. Un Dantès qui navigue dans les rues de Marseille avec canne et manteau... mais sans chapeau non plus. Mercédès, reviens par ici, depuis quand te permets-tu d'aller sur un bateau sans chaperon, avec un cousin et un fiancé à moitié nus qui piquent une tête dans l'eau ? Pour la deuxième fortune locale, ces manières laissent singulièrement à désirer.

- Des tutoiements en pagaille, des hommes armés qui entrent dans une église, un superbe tatouage dans le dos qui n'a rien à voir avec un tatouage de marin, de l'eyeliner sous les yeux d'un abbé (!), des robes de femme avec des fermetures éclair (c'est nettement visible à la fin, lorsque le dos de Haydée dans sa robe brune est longuement filmé), à côté de ça, le candlelight de l'abbé Faria, sa table, ses livres et... j'ai bien cru voir un compotier avec un fruit ? ne sont que des problèmes mineurs.

Et ça, ce n'étaient que des difficultés, disons, de décor.

Petit aparté sur les deux-trois erreurs de syntaxe. Le langage contemporain du début du film ne va vraiment pas avec l'époque. Le langage presque théâtral entre Mercédès et Monte-Cristo non plus d'ailleurs. Le plus étonnant est tout de même cette phrase pour laquelle Monte-Cristo s'est longuement entrainé : "Si j'avais su l'honneur de votre visite"... qui ne veut pas dire grand chose. La tournure exacte est "Si j'avais su que vous me feriez l'honneur de votre visite". Un débutant, Monte-Cristo ? D'après le scénario, il a été élevé chez les Morcerf, de la petite noblesse locale, et c'est une expression courante là-bas. Mais nous mettrons cela sur le compte de ses manières trop orientales, italiennes ou slaves. Fin de l'aparté.

Car il y a pire (ou mieux) encore. C'est désormais au tour d'Albert de briller, et de faire preuve d'une moralité aussi exemplaire que de celle de son père.

Albert de Morcerf, un charmant jeune homme qui doit la vie à Monte-Cristo. En échange, Monte-Cristo lui demande une faveur. Téméraire, le jeune homme promet à l'avance tout ce qu'il voudra. Monte-Cristo lui demande de ne pas chercher à séduire la belle Haydée, sa pupille. Albert de Morcerf a promis ? Quelle importance ? Il va chercher à la séduire par presque tous les moyens, de préférence en cachette de Monte-Cristo, passant outre sa parole d'honneur sans aucun scrupule apparent. Un fils à la hauteur de son père. Même la révélation des origines de Haydée ne le tient pas à distance. Pourtant, il est désapprouvé par tous les auteurs classiques, à commencer par Dumas, dans l'oeuvre initiale, qui l'a déjà mis en garde : dans le livre, Valentine, la fille de Villefort, est fiancée à un jeune baron, or elle est amoureuse d'un autre. Pour faire casser ces fiançailles, le père de Villefort, Noirtier, révèle qu'il a tué le père du jeune baron : le jeune baron ne peut plus épouser la petite-fille de celui qui a tué son père. Mais c'est une histoire connue depuis le Cid, que les réalisateurs ont visiblement oubliée...

Un film historique ou à prétention historique comme celui-là, je lui aurais mis 3/10.

Heureusement, ce n'est pas ce qu'il est.

Imaginez, maintenant. Un autre monde, un autre univers. Vous êtes dans Airman, vous êtes dans A la croisée des mondes. Un monde vaguement inspiré du XIXe, gothico-steampunk, avec ses grandes salles vides somptueusement meublées. Vous y êtes ?

C'est ce que j'ai compris dans la deuxième partie du film, en voyant le manteau à col relevé et dos brodé de Monte-Cristo. On n'est pas dans un film historique. On est dans un film fantasy. Et là, presque tout s'explique. Les difficultés de décor n'en sont plus, c'est la mode, les lois propres à ce monde. On peut admirer en toute tranquillité le stand de tir de Monte-Cristo dans son bureau, la robe brune avec ceinture SF de Haydée, l'eyeliner de l'abbé Busoni, les masques très réalistes de Monte-Cristo, la moralité élastique d'Albert, la cellule de l'abbé Faria... On peut se faire plaisir sans arrière-pensée.

Oui, dans ce nouveau film, il y a pas mal d'erreurs, de gros problèmes de raccords et d'incohérences (le mercenaire qui s'est pris une balle d'Albert mais qui se relève, Monte-Cristo qui serre la main de Morcerf alors qu'il refuse, un peu plus tard, de boire du vin ou de manger des fruits chez lui, la caisse creusée à l'arrière du manoir alors que les flambeaux sont posés devant, pour ne citer que ça). C'est ce qui m'a empêchée de mettre davantage.

Mais tout de même. Nous avons des décors somptueux (le château de Monte-Cristo, splendide), chaque scène importante est un petit plaisir, tant dans la qualité, l'humour ou l'émotion des dialogues que dans la densité des accessoires (le mariage de Dantès, le dîner chez Monte-Cristo, la scène de la serre, troublante d'émotion, l'audience contre Halifax), quelques scènes plus intimistes sont des pépites (la partie de cartes entre Danglars, Villefort, Morcerf, Andrea et Monte-Cristo, extrêmement bien vue, où l'on sent particulièrement la vieille complicité unissant trois hommes se connaissant de longue date, les dialogues savoureux du prêt d'argent de Monte-Cristo à Danglars). Le petit passage sur l'homosexualité est très bien fait aussi, avec une grande finesse.

Certes, l'ambiance, le drame est long à s'installer, mais une fois présent, ça y est, le film démarre, on est dans l'histoire. Les acteurs m'ont convaincue, l'histoire d'amour était bien sympathique dans le cadre d'un film fantasy, la morale est un peu gentille mais convient à un film assez familial, seule la rencontre finale entre Monte-Cristo et Morcerf aurait pu être un peu plus poussée,

je m'attendais à un ultime artifice, car Monte-Cristo, d'une part, savait qu'il avait affaire à un soldat de métier quand lui-même est peu expérimenté, et d'autre part, est connu pour ses illusions orientalisantes.

Soyons honnêtes : à partir de la deuxième partie du film, j'ai pris beaucoup de plaisir à le regarder. J'y suis retournée, afin de le voir entièrement sous cet angle que j'avais découvert. C'était bien meilleur. Pas besoin de comparer avec le livre de Dumas, on est sur une autre histoire.

Les réalisateurs se sont trompés d'étiquette à accoler à leur film, mais le succès est mérité.

Luevana
8
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le 30 juil. 2024

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Luevana

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