“Un trip nécessitant un lâcher prise”: c’est de cette manière que le réalisateur Ari Folman a qualifié son film Le Congrès, sorti il y a maintenant une dizaine d’années. Et il faut dire qu’il a raison: le film fait tout pour laisser son spectateur planer, rêver, halluciner… Et c’est réussi! On ne comprend pas forcément tout mais là n’est pas le but étant donné que ces thèmes du mirage, de la réalité modifiée, de la vision, de l’onirisme forment une partie importante du récit. Le film aborde également les questions de l’évolution de l’industrie cinématographique, de celle de la société elle-même et le parallèle est rapidement fait avec les enjeux que représentent aujourd’hui les nouvelles technologies dont l’intelligence artificielle. Nous allons donc ici observer quelques-uns de ces sujets traités ainsi que la façon dont ils sont traités d’un point de vue cinématographique.
Le premier aspect traité est, comme dit ci-dessus, l’évolution de l’industrie cinématographique. On suit ici une version fictive de l’actrice Robin Wright (jouée par elle-même) à qui on propose de se scanner virtuellement et de laisser les équipes de productions de la compagnie fictive Miramount se charger d’animer et de générer la voix de son clone virtuel. En contrepartie, l'actrice réelle reçoit bien évidemment de l’argent mais uniquement si celle-ci accepte de ne plus jouer de sa vie. Une sorte de protistution donc, que l’actrice refuse pour des choix éthiques avant de finalement accepter en raison de la santé de son fils, qui est menacé de cécité et de surdité au long terme. On comprend donc légitimement sa volonté de s’occuper de lui. Son choix d’autant plus conforté par un argument de son manager: en tant qu’actrice, elle était déjà subordonnée aux directives et aux sollicitations de la société de production.
Il y a donc ici une double critique: celle de l’industrie du cinéma “depuis les années 1940”, selon le producteur dans le film, qui exploite les acteurs sans la moindre humanité, et celle anticipée pour l’avenir: celle des corps scannés, et pourquoi pas animés par des intelligences artificielles… Et on entrevoit déjà: les scans accompagnés de capture de mouvements font déjà des miracles dans l’industrie vidéoludique voire même dans l’industrie cinématographique. Et si pour le moment les acteurs ne vendent pas leur image à vie pour être joués ou animés par d’autres, la dérive est facilement envisageable. De leur côté, les intelligences artificielles génératives se perfectionnent à vue d'œil et on imagine facilement que, si elles sont aptes à générer des images très propres aujourd’hui, elles seront capables de faire la même chose avec du contenu vidéo demain. La menace des intelligences artificielles est d’ailleurs une des raisons de la grève qui a secoué Hollywood cette année.
Le film expose donc une vision assez pessimiste de l’évolution de l’industrie cinématographique. Et, en sa qualité de dystopie, le reste de la société n’échappe pas à celle-ci.
Le film met donc également en scène un autre élément: le déni de réalité. Dans l’univers du long métrage, une mégacorporation (qui est l’évolution de la société Miramount) a développé une sorte de drogue permettant à ses utilisateurs de se plonger dans une réalité alternative individuelle imaginée par et pour lui, dans laquelle l’individu choisit son apparence. La majorité des humains décide donc de prendre cette drogue afin d’échapper à une réalité où sévissent la misère et la pauvreté. Seuls les élites et les administrateurs de cette société de production sont restés dans le monde réel. Un des personnages du film banalise le phénomène en indiquant que les drogues ou encore les antidépresseurs ont eu le même rôle: faire échapper l’homme de la réalité ou en tout cas la rendre plus supportable.
L’intérêt du film réside alors dans la façon dont il illustre ces éléments: le réalisateur a décidé de représenter tous les moments dans lesquels les personnages vivent dans leur hallucination sous forme de film d’animation… Et c’est une grande réussite: l’animation est soignée, les plans sont biens composés… Bref, le tout est agréable à regarder et cette alternance de prises de vues réelles et d'animation sert à merveille le film par sa structure. Ainsi la première partie, précédant l’élaboration de cette réalité alternative, est filmée (et bien, les plans sont plus que corrects). La majorité du film se déroule ensuite dans la dimension illusoire animée… Avant de retourner brusquement à la réalité et de rendre compte au spectateur de l’importance de la misère du monde réel mais également de l'hallucination que les protagonistes infligent à eux–mêmes. La conclusion revient une dernière fois à l’animation, comme si l’héroïne sombrait définitivement dans un monde irréel.
Ainsi, Le Congrès est un film satisfaisant. Le réalisateur use brillamment de la forme, qui alterne entre animation et prise de vue réelle afin de poser sa vision critique sur l’industrie cinématographique ainsi que ses craintes sur l’avenir de cette dernière mais également de l’humanité dans son ensemble. Le film traite également d’autres thèmes comme l’amour ou la folie, et bien sûr toute sa substance ne pourra être résumée en une seule critique.