Remake du Salaire de la peur d'Henri-Georges Clouzot, le film de William Friedkin est à l'image de son intrigue, extrêmement casse-gueule et totalement barré.


Le premier tiers du film propose de narrer les élucubrations d'une poignée de salopards en proie à de gros problèmes avec la justice de leur pays respectifs, soit un business man français, interprété par Bruno Cremer , poursuivi par le Fisc qui finira par pousser un homme au suicide, un terroriste palestinien, joué par l'acteur marocain Amidou (une tronche aperçue dans pas mal de séries B italiennes) qui vient de fomenter un attentat en terre d'Israël, un gangster américain sur la tête de qui est déposé un contrat, à qui l'excellent Roy Scheider (Jaws, French Connection) prête ses traits, et un desperado, fou de la gâchette, complètement déjanté, joué par Francisco Rabal (vu chez Bunuel et Antonioni entre autres). Un quatuor pas vraiment moralement viable qui va se voir confier une mission extrêmement périlleuse, consistant à transporter de la nitro-glycérine à travers la jungle sud-américaine.


Les voilà donc embarquer à bord de deux vieilles carlingues rouillées et pétaradantes à travers une forêt humide et boueuse pour une mission perdue d'avance.
Le réalisateur de French Connection et L'Exorciste, baroudeur émérite et cinéaste casse-gueule au demeurant, emmène ses acteurs dans une sorte de bourbier sans nom et leur fait traverser des ponts qui ne demandent qu'à s'écrouler sur un fleuve boueux prêt à les avaler eux et leur chargement explosif dans une jungle hostile qui semble se gausser du sort des pauvres bougres. La démarche du cinéaste est complètement assumée et on sent une franche envie d'embarquer tout ce beau monde dans quelque chose qui pourrait s'apparenter à l'enfer.


Filmé sèchement et parfois de manière volontairement grotesque, avec zooms nauséeux et mise en abîme totalement barrée, Sorcerer est une œuvre de grand malade, un cinéma véridique et direct qui sent l'huile de moteur, la rouille, la sueur et la vase poisseuse. La seconde partie du film est une véritable prouesse dans le domaine de la volonté d'épuiser les bonchommes, la flotte, la boue, de les broyer physiquement et psychologiquement, on imagine aisément le calvaire que les acteurs ont dû vivre. A bord de leurs vieux coucous, sorte de monstres mécaniques embourbés et avalés par une jungle prédatrice, ils endurent les pires épreuves et c'est franchement réussi.


Ce genre de films et quasiment impossible à faire aujourd'hui, à l'ère du numérique, où tout est fait devant un écran vert. On pense aux grands films d'aventures authentiques des années 30/40, où des cinéastes comme King Vidor avec un film comme Nortwest Passage ou Raoul Walsh et ses films de convois de troupeaux comme The Big Trail, une démarche tendant à rechercher l'authenticité, à se mettre en immersion totale dans le projet, d'amener le spectateur au cœur de l'ouvrage.


Du cinéma barré et jouissif comme en en voit quasiment plus. William Friedkin est à ce titre, avec Werner Herzog , l'un des derniers cinéastes jusqu’au-boutiste qui soit, tant ces œuvres sont quasiment tout le temps affranchies de toutes limites, quitte à parfois être redondantes et boursoufflées. Un vrai cinéaste véridique qui réussit toujours à rendre ses films directs et viscéraux.

philippequevillart
9

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le 15 juin 2015

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