C'est sous les influences de sa propre expérience, de celle du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume et de la littérature de Joseph Conrad que Pierre Schoendoerffer a réalisé ce film d'hommes, d'officiers s'échangeant des anecdotes sur un autre officier, qu'ils ont chacun connu à des époques différentes, un lieutenant de vaisseau, son chat noir souvent sur l'épaule, surnommé le "Crabe-tambour".
Le rythme est lent, languissant même, il faut le dire carrément. Mais si le film avait été autrement, ça aurait été un échec. Comment voulez-vous que la vie d'officiers se racontant des anecdotes, qui ne peuvent qu'être teintées de mélancolie, de nostalgie et de regrets, tout cela dans la torpeur du quotidien d'un escorteur battu impitoyablement par les éléments, donne autre chose ??? Le tout est mortifère, car la mort ne manque jamais de rôder près des êtres, mais profondément beau, et cela principalement pour quatre raisons.
D'abord Raoul Coutard est certainement un des plus grands directeurs de la photographie de tous les temps. L'image grisâtre, le teint blafard des personnages, tout cela est capté à merveille par ce technicien incomparable. Et les scènes maritimes sont tout simplement sublimes. Moi qui en plus adore les plans d'une mer déchaînée, les côtes bretonnes bien rugueuses, les climats froids, j'ai été admiratif devant autant de beauté visuelle. C'est un régal pour les yeux.
Ensuite, quand on a au casting des pointures comme Jean Rochefort, Claude Rich, Jacques Dufilho et Jacques Perrin dans des rôles de personnages aussi complexes que consistants, qui font sans conteste partie des plus beaux et des plus profonds rôles de leur carrière, forcément ça donne quelque chose de grand.
Troisième raison, tout simplement la mise en scène de Pierre Schoendoerffer qui est imbattable pour ce qui est de présenter avec une extrême minutie la vie à bord d'un navire.
Pour finir, quatrième et dernière principale raison, l'écriture du scénario. On ne sait pas du tout où ces scènes à bord de l'escorteur vont nous mener, ni la signification de tous ces flashbacks. Et puis arrive la scène où, sans trop en dire pour pas trop en dire sur l'intrigue, le personnage de Jean Rochefort va communiquer par radio avec un autre bateau. Après cette scène, on est bouleversé, et d'un coup on saisit le pourquoi de ce que l'on a vu auparavant sans pouvoir vraiment l'expliquer par des mots simples et précis. On le comprend et on le ressent juste. Quant à la raison du surnom qui donne le titre du film, on le découvre vers la fin et ça participe à la profondeur de l'ensemble.
Et on ne pourra être agréablement étonné, avec une pointe de tristesse pour cause d'époque définitivement révolue, que le cinéma français ait été capable de nous donner des œuvres aussi exigeantes, ambitieuses et profondes.