Richard Borst (le cuisinier) accueille chaque soir le propriétaire du restaurant Albert Spica (le voleur) suivi de son entourage de gangsters. C'est un homme violent, imbu de lui-même, antipathique, et qui bat Georgina (sa femme). Cette dernière le trompe derrière son dos chaque soir avec Michael (son amant), un client mutique du restaurant.
Attention, il n'est pas impossible que je spoile un brin.
Greenaway, c'est l'un des amours les plus conditionnels que je porte à un réalisateur, et CVFA c'est à mon humble avis son meilleur film. Mais alors, c'est quoi un excellent film de Greenaway ? Ca tient à une recette quasiment constante d'un film à l'autre, mais qui ne cesse de se renouveler dans son assaisonnement.
1) C'est d'abord un univers graphique à part. Ce sont des compositions extrêmement chargées, avec toujours trop de personnages dans le cadre ; et l'on ne sait plus où donner de la tête. Ce sont de longs plans fixes bouleversés soudainement par des travellings qui viennent bousculer cet immobilisme avec une lenteur paradoxalement brutale. Ce sont des mises en scène aux décors et aux costumes extrêmement poussées, des jeux d'éclairages qui s'ils ne brillent pas par leur subtilité sont particulièrement originaux : dans CVFA, loin de tout réalisme, Greenaway éclaire chaque pièce de l'intrigue avec une couleur différente : du vert pour les cuisines, du rouge pour la salle à manger, du blanc pour les toilettes. Or, non seulement les éclairages varient d'une pièce à l'autre, mais les costumes changent également de couleur pour rajouter à l'esthétique et à la symbolique.
On ne sera pas surpris un instant d'apprendre que Greenaway est également artiste peintre.
2) Ce qui me permet d'enchaîner sur la deuxième constante : l'obsession pour les arts, tous quels qu'ils soient : l'art de la mise en scène et de la peinture traversent bon nombre de ses films (mais sont particulièrement prononcés dans CVFA) mais on retrouvera également au gré de ses films la paysagerie dans A Draughtman's Contract, l'architecture dans Le ventre de l'architecte, la calligraphie dans The Pillow Book, et tant d'autres encore : sculpture, tatouage, cinéma, poésie, opéra, danse et même... Cuisine, l'art privilégié dans le film qui nous intéresse aujourd'hui.
3) Mais il est un art qui occupe une place phare dans son œuvre, et c'est celle de la musique. Généralement accompagné par l'absolument génial compositeur Michael Nyman (parfois remplacé par d'autres tout aussi talentueux, Wim Mertens en tête), l'association des deux donnera naissance à des partitions qui ne ressemblent à rien d'autre, et qui contribuent à rendre l'univers de Greenaway absolument unique.
4) Une autre thématique constante outre les arts, c'est celle des corps, et de l'organique en général. Greenaway semble absolument fasciné, obsédé par tout ce qui a trait aux corps. Chacune de ses œuvres est ponctuée d'hommes et de femmes déambulant l'anatomie à l'air, de scènes de sexe plutôt crues, des jeux de corps dans Prospero's Books ou The Pillow Book. Mais cette obsession anatomique se porte aussi dans des composantes moins sexy : chez Greenaway, l'humain est à tout moment sur le point de pourrir (notamment dans Le ventre de l'architexte) au même titre que les corps animaux – dans Z00 ou encore une fois dans CVFA. Les corps sont blessés, mutilés, amputés ; parfois même rôtis pour être destinés à manger, comme ici. Intégrant toutes les fonctions organiques, Greenaway parle aussi beaucoup de transit mais jamais plus que dans ce film.
5) Il y a aussi l'humour noir, ce trait typiquement british. Greenaway nous offre toujours des scénarios totalement décalés et absurdes qui font sourire jaune. On nous présente des galeries de personnages abscons, tyranniques, ridicules. C'est un père et un fils qui veulent se constituer un harem dans Huit femmes et demi ; des femmes qui assassinent leurs maris parfois sans raison dans Drowning by numbers ; des frères jumeaux qui veulent devenir siamois après que leurs femmes se soient tuées dans un accident dans Z00... Tout tournera toujours autour de la relation conjugale, de ce mélange de haine et d'amour, de plaisir et de torture propre aux amants maudits ou infidèles ; des personnages féminins comme masculins complètement livrés à leur pulsion de sexe et de mort, et qui s'en donnent à cœur joie avec un humour noir absolument délicieux.
A ce titre le "Cannibal" lancé par Helen Mirren en guise de conclusion est savoureux si j'ose dire.
Cet humour noir, il se retrouve aussi dans la structure, CVFA ce sont dix repas qui dégénèrent ; et si les premiers sont aussi normaux qu'ils puissent l'être dans un film de Greenaway (c'est à dire pas du tout), Greenaway n'abandonne pas cette structure par la suite. C'est toujours un repas quand on torture quelqu'un en lui faisant avaler ses boutons de chemise ou des pages de livre ? Apparemment oui.
C'est toujours un repas quant on mange le cadavre rôti du mec qu'on a buté ?
Bref, Greenaway, c'est la plus mordante et belle synthèse des arts que l'on puisse imaginer. La preuve en images avec Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant...