Dans Les Acteurs, Jean-Pierre Marielle doutait de son talent et son utilité, ses collègues ne le rassuraient pas non plus. Ce n’est pas si surprenant que Quentin Dupieux affiche un sujet plus ou moins proche que celui qu’évoquait Bertrand Blier. La critique de l’artificialité du cinéma est omniprésente dans sa carrière, entre brisements de quatrième mur (Rubber) et décalage entre le réel et la fiction (Réalité). En ouverture du Festival de Cannes, Le deuxième acte place des problématiques actuelles de l’industrie du cinéma. Causes politiques, éthiques, antidiscriminatoires sont disposées dès le premier acte de la fiction.


David (Louis Garrel) est bien embêté, forcé de rencontrer le père (Vincent Lindon) de sa copine (Léa Seydoux) qu’il ne souhaite plus revoir. En parallèle, les comédiens interrompent les scènes par manque de motivation. Le premier plan-séquence traduit la situation en s’ouvrant sur Willy (Raphaël Quenard), sollicité par son ami pour rompre avec Florence. Tout y passe à l’écran, il formule des remarques homophobes et déplacées alors que son collègue appelle le spectateur à ne pas s’y attarder. Ce jeu de rôle jubilatoire n’est pas sans rappeler l’exercice théâtral abimé par l’improvisation (Yannick).


Le cinéaste joue sur cette ambivalence, les longs plan-séquence marquent une distanciation puis un rapprochement en zoom sur les acteurs. Leur image abîmée à l’écran quand ils ne jouent plus, ce sont leurs revendications personnelles qui s’expriment en contrepied à une histoire vue et revue. La preuve, on parle d’intelligence artificielle derrière le projet. Certes, Dupieux n’approfondit pas vraiment ces causes mises à mal en les cloisonnant dans des blagues menées contre des dialogues peu inspirés et inspirants. Mais après tout, c’est sa marque de fabrique de placer des enjeux pour détourner l’attention du spectateur du sujet qu’est la réalité.


Ancré dans le métacinéma, Le deuxième acte moque autant les interprètes que les personnages à l’exception du figurant incarné par Marcel Guillot. Incarnant le patron du restaurant dont le titre est tiré, il assume un rôle secondaire. En bas de l’affiche, son interprétation occasionne les scènes les plus intéressantes de la fiction : dans la rupture de tons, il vient créer un enjeu autour des autres. Pourtant, l’intelligence artificielle le réprimandera d’être en surpoids et d’occasionner un coût supplémentaire de production. A l’image de la star qu’il n’est pas, son « arc » est peu considéré.


L’annulation des twists sur les coulisses de tournage peut agacer, la transgression des méthodes d’acting se répétant encore par la mise en abyme. Cela s’accentue davantage à mesure que certains de leurs traits dérangeants sont brouillés en guise de rigolade – la scène du baiser forcé interpelle -, laissant une impression contradictoire. Il n’y a ainsi pas vraiment de prise de position par rapport aux questionnemens modernes, plutôt traités sous l’angle de névroses auxquelles chacun répond de son hypocrisie. Dupieux ne défend pas les dialogues sans finesse pour autant, clôturant son récit sur un retour au naturel des acteurs après la fin du tournage. La tendresse apportée au duo Lindon/Quenard répond avec justesse de cela, à la fois étonnante et belle.


Les travellings du retour inversent les tendances individuelles par effet miroir, et la théorie évoquée par David sur l’importance de la fiction ne fait plus sens. Au bout du rail, le réel résiste au jeu.


Critique à retrouver ici : https://cestquoilecinema.fr/critique-le-deuxieme-acte-railler-le-cinema/

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le 16 mai 2024

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William Carlier

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