La question du traveling est cinéphile et il faut l'être pour apprécier l’œuvre de Quentin Dupieux. Car pour le rappeler, ses films ne s'adressent pas à tous les publics et, comme au cours de la projection de celui-ci, il n'est pas rare de voir des personnes partir avant la fin ou exprimer bruyamment leur incompréhension et leur avis à sa fin, effet remarquable et constaté à nouveau ce soir-même en salle _ certes non classée art et essai. En cela cependant, son deuxième acte est sensiblement différent des précédents.


Traveling donc, celui du début pour suivre les personnages incarnés par louis Garrel et raphaël Quenard en pleine discussion, cheminant vers leur rendez-vous avec une jeune femme et son père apprendrons-nous. Mais voilà qu'une phrase décale le propos, se révèle trop offensive pour un film tourné de nos jours fait remarquer l'un d'eux à son compère qui l'a prononcé,en disant qu'on ne peut plus dire ça devant une caméra, au risque de se faire cancel, et que lui veut continuer à travailler. Ce faisant il pointe la caméra, révélant que nos deux compères sont filmés, un effet de film dans le film par rare chez Dupieux et qui se poursuivra ensuite.


D'ordinaire, ces imbrications et autres mises en abîme tissaient une trame nonsensique constituant finalement l'objet principal de ses films, avec une narration rapidement dépourvue d'effet d'attente(s) ou d'enjeux. Des films de metteur en scène aimant à maîtriser toutes les étapes de leur production et créateur original d'un système évolutif quoique parfois abscons, unique en son genre si on considère sa persistance dans autant de ses films, à la différence d'un spike Jonze, par exemple, adoptant une mise en scène plus classique après son deuxième long..


Mais le danger d'un système pour tout créateur, est de s'y enfermer.


_ Vous avez quatre heures _


Sauf que pas obligatoirement, et chacun a le droit de prendre son temps quand il s'agit de délivrer un travail éminemment personnel, ce qui semble le cas avec Quentin Dupieux, dont les films (et l'auteur de ces lignes doit avouer ici n'avoir pas vu Yannick, une révélation ayant provoqué l'indignation d'ami(e)s sur ses capacités à délivrer une critique sur un film de Dupieux, mais faut-il connaître une œuvre entière pour...mais bref nous manquons de temps.... ) marquent aussi un apprentissage et une progression. Daaaaaaly! constituant une forme d'aboutissement avec pour le coup un sujet, génial et surréaliste, lui-même auteur de son propre système, en parfaite adéquation avec les tendances idiosyncratiques d'une maîtrise formelle consciente de ses effets, donnant pour résultat un portrait d'artiste à artiste plus créatif que quatre-vingt-dix-sept point cinq pourcents des prods biographiques des trente dernières années, et sous un éclairage surréaliste jamais surfait vu le pédigrée des forces en présence. Bref, du bel ouvrage et le moins qu'on puisse dire, c'est que la tendance continue avec Le deuxième acte.


Car ici, le propos prend un corps jamais entraperçu jusque là dans l’œuvre du bonhomme. En fait me concernant ça prend dès le générique, un cut sur une musique de film de Sautet cuvée 70's. J'ai d'abord ricané puis, pendant le long traveling du début où nos deux gars débinent des travers actuels de nos sociétés, j'ai commencé à rire franchement.

Les autres personnages sont aussi des acteurs franchement A-list avec léa Seydoux et vincent Lindon, dont la virtuosité permet une belle fluidité dans la majorité des séquences où ils passent d'un caractère à l'autre pour jouer une scène à l'intérieur du film dans le film. Leur présence, accompagnée de clins d’œil sentis à leur réputation IRL, (ils jouent des acteurices interprétant des acteurices basés sur eux-même, jouant dans un film), prend les spectatrices et spectateurs par la main, une première chez Dupieux. Le film y gagne une légèreté jamais artificielle, ainsi qu'en intelligibilité.


Car si la scène centrale du film est vraiment hilarante et constitue un climax, certains sujets prennent une ampleur inattendue. Dans les propos tenus, débinant apparemment certains travers du milieu du cinéma mais sous lesquels pointe une vraie inquiétude face aux contraintes de la création dans nos sociétés et à la norme du "plaire au plus grand nombre" caractérisée par cette intelligence artificielle qui est la réalisatrice du film. Ici Dupieux se tourne vers des émotions éprouvées, que son cinéma avait ignoré jusque là, et se confronte à une gravité nouvelle, magnifiquement amenée dans un nouveau développement de son style particulier, dans les trois scènes finales. Le discours de Garrel face à Seydoux et la réponse de cette dernière résonnant après la scène finale.

Son titre de deuxième acte est-il aussi le signe de son œuvre à venir ? Quatre-vingt minutes trop courtes. Peut-être pour éviter le vertigo.

Du méta-classicisme. Présenté à Cannes. Et sa palme d'or pour l'heure, sans aucun doute.



Swindgen
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le 23 mai 2024

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