Le film s'ouvre sur une scène d'évasion de prison où 3 malfrats se font la belle, et pour se faire ils doivent sauter d'un bâtiment à un mur... et dès les premières images, le cliché du film de taulard en fuite explose littéralement, tant Melville dépouille totalement la scène de tout scorie. Pas de doute, on est dans le polar stylisé marqué du sceau hexagonale, celui du grand film de chevalerie Melvillien.
Mise en scène racée et visuel baroque, image dépouillée et mise en abîme perpétuelle, personnages magnifiques éclatant dans une lumière froide, ambiance austère, le traitement que ce cinéaste apporte à son cinéma est l'osmose d'une parfaite fusion entre mouvement et dissolution du temps.
Les personnages sont tous grands dans leurs gestes et pauses. Lino Ventura plus charismatique que jamais, dans la peau de la bête traquée, personnage torturé, tantôt tendre et en émoi pour sa 'Manouche', personnage féminin implacable et amère, l'héroïne femme-fatale du film-noir, de ce cinéma yankee de la grande époque que Melville admire tant, alors halo sur les belles voitures américaines, ces gangsters à belle allure, ces déambulations nocturnes... Paul Meurisse est extraordinaire dans la peau du flic méthodique à la prose saillante, toujours à l'heure, la démarche assurée la grande classe. Et ce défilé de tronches incontournables, admirables, les Raymond Pellegrin, Marcel Bozzuffi, Michel Constantin, Paul Frankeur, ..., le haut du panier de la distribution à la française. La belle époque.
Le scénario signé José Giovanni adapté de sa propre œuvre, foisonne de personnages hauts en couleur, et met en avant toute la grandeur de ce monde de gangsters froids aux gestes minimalistes et dévoués à leur tâche, un monde fait de détricotage, de traîtrise, mais aussi de fraternité et de scission.
Magnifié par la caméra chirurgicale d'un grand maître du formalisme racé, ce perfectionniste obsessionnel du cadre, créateur d'imagerie et dessinateur de personnages chevaleresques, l’œuvre ne peut qu'emporter l'adhésion. Du grand cinéma même pas miné par ses petites imperfections comme ces scènes de gunfights un rien grossis, sans doute volontairement, et deux ou trois raccourcis scénaristiques un peu facile. Peu importe, l’essentiel est ailleurs, parfois hors champs ou dans cette incroyable capacité à donner de l'épaisseur au cadre, malgré l'austérité et le minimalisme quasi dépouillé.
A noter que ce film fera l'objet d'un remake par Alain Cornaud, l'un des héritiers du cinéma Melvillien.