Un film grandiose et magnifique, sur tous les plans.
Les intrigues particulières des personnages dressent une fresque romantique magistrale au milieu de laquelle trône Lara Antipova (incarnée superbement par Julie Christie), objet de toutes les attentions.
L'écriture des personnages est particulièrement notable : j'ai rarement vu un film accorder autant de complexité à ses personnages tout en gardant une telle cohérence. Il faut dire que les 3h20 du récit aident à créer des personnages réalistes, et chaque revirement de caractère, chaque incohérence interne est menée de main de maître. Nos personnages restent pour certain droits dans leurs bottes, d'autres se font victime puis bourreau, romantique puis glacial, égoïste puis altruiste - et chaque évolution paraît rigoureusement logique. Leur construction refuse tout manichéisme, posant la question de la morale personnelle de chacun sans jamais leur ôter l'éventualité de la rédemption ou de la damnation.
Ce qui est également brillant, c'est la manière dont les petites histoires s'inscrivent dans la grande. Dans cette grande fresque épique, Lean nous donne l'impression de traverser pour de bon plus de 30 ans d'histoire russe et soviétique. Adaptation du roman de Boris Patchernak qui avait été publié clandestinement, il se montre très acide et critique sur cette Histoire, montrant de manière crue les dérives des systèmes qui se succédèrent. Pour autant, ici aussi le film refuse un manichéisme trop marqué : les dérives du communisme sont traitées aussi durement que le sont les dérives du tsarisme en début de film ; et nos héros se font tour à tour activistes, sympathisants, ennemis du gouvernement. Les principes du communisme en lui-même sont questionnés sans pour autant être clairement condamnés, tandis que le régime staliniste est lui clairement dénoncé.
Mais si l'on doit sans doute cette critique (dont je peine à transcrire la complexité) plus à Patchernak, Lean permet d'y apposer une mise en scène qui la sublime. Scènes de guerre, costumes d'époque, reconstitution des rues de Moscou, décors tantôt indigestes par leur faste, tantôt déprimant par leur sobriété... Lean fait de cette histoire une fresque épique dont on ne voit pas une seule seconde passer les 3h20.
Bref, au cas où ça n'aurait pas été assez clair, je recommande complètement.

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le 12 janv. 2021

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Heobar

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