Je n'aime pas tout dans Le Dos Rouge, mais ce que j'aime, je l'aime vraiment.
D'abord, c'est un film généreux. Il y a de vraies scènes, du sens, une profusion de significations (c'est un film pensé), beaucoup de pistes ouvertes (trop tôt refermées parfois, c'est la limite, d'où une impression, au moment de la séance, de quelque chose d'inabouti - mais je l'ai vu il y a plusieurs jours et je ne cesse d'y penser, comme si le film trouvait les prolongements qui lui font défaut au-delà de la séance, comme s'il parlait directement à l'imaginaire et s'imprégnait tant que le dialogue pouvait se produire longtemps après, or peu de films parviennent à cela, ouvrir de telles portes, et c'est en cela qu'il est remarquable).
Il y a des plans très beaux, et puis cette tentative de filmer des tableaux, de faire que la peinture soit le pivot de la majorité des scènes, leur origine et leur justification. Le plaisir immédiat vient de cela : un cinéaste, incarné par Bonello, cherche pour son film une peinture, et se fait aider pour la trouver d'une spécialiste incarnée par Balibar. Il se trouve que Balibar fait merveille. Ce n'est pas tant ce qu'elle dit (un mélange de mondanité, de science, d'émotion), que sa manière de le dire. Dans ses arrêts, ses pauses, sa diction, on entend un chant. C'est un chant qui lui est propre, qu'on retrouve dans tous les films où elle joue, toutes les pièces de théâtre, et il peut agacer parfois mais ici, dans Le Dos Rouge, parce qu'il y a les tableaux, on dirait que ce chant naît de la peinture même. Le cinéaste cherche une oeuvre représentant la monstruosité, mais la monstruosité est moins souvent sur la toile que dans la voix de celle qui la lui montre.
Au fond, ce qui est en jeu ici, ce n'est pas tant l'obsession, la quête obsessionnelle d'un homme, que la façon dont une femme vient s'immiscer entre un homme et l'objet de sa quête. De là vient l'originalité de ces scènes, a priori badines voire banales : la parade amoureuse n'est pas duelle, il y a toujours un tiers, et entre Balibar et la peinture se joue une lutte étrange où c'est à celle qui fascinera le mieux. La peinture est pure image, Balibar n'a que sa voix pour détourner l'attention du cinéaste. Cette dialectique entre son et image crée quelque chose de très moderne, absolument cinématographique. C'est là qu'est toute la beauté du film de Barraud, au-delà de son aspect, certes de bon goût, mais qui ne suffirait pas à nous happer s'il n'y avait pas, au coeur, cette étrangeté.
Le jour où Bonello, de plus en plus troublé par Balibar, décide de se dévoiler, elle s'enfuit. Au rendez-vous suivant, ce n'est plus Balibar. C'est le même personnage, qui porte le même nom, qui occupe la même fonction, mais c'est Géraldine Pailhas qui l'incarne. Ici, quelque chose dans le film se brise. L'hommage à Vertigo est évident bien que la situation soit inverse. Mais Pailhas est aussi brune que Balibar, et bonne actrice aussi, mais plus naturaliste. Moi, comme spectateur, je ne pouvais pas m'empêcher d'être déçu. C'est sans doute l'intention de Barraud. Sauf que, dans son film, apparaît une autre femme, Catherine Libert, qui elle est blonde, et je me suis dit que c'était elle qu'il aurait dû choisir à la place de Pailhas. Parce que son jeu, sans qu'il donne l'impression de copier Balibar, semble appartenir au même registre, celui des acteurs chantants.
Mais Barraud préfère, à la satisfaction du spectateur, la multiplication des (fausses) pistes, plus ou moins réussies, qui font que le film traîne un peu : par exemple la soeur, Nathalie Boutefeu, semble hors sujet. Pourtant, d'autres sont réjouissantes : la rencontre avec l'Anglaise est très belle, les scènes avec le journaliste homosexuel sont délirantes, Isild Le Besco n'a qu'une scène, mais elle est sidérante d'intensité (et je crois que c'est Bonello qui a réalisé cette scène et qui l'a offerte à Barraud, pour que son personnage de cinéaste ait une filmographie basée sur tous les films que Bonello n'a pas faits).
Il faut peut-être rappeler, qu'au début et à la fin du film, il y a une narratrice : c'est la mère du héros, qu'on ne voit jamais, mais c'est elle qui conduit le récit, ouvrant et refermant le conte. Alors, Le Dos Rouge, c'est avant tout l'histoire d'un homme qui, enfant, visitait les musées avec sa mère, éprouvait face aux tableaux des émotions quasi érotiques qu'il partageait avec elle, et qu'en grandissant il a voulu connaître seul, ou avec d'autres femmes. Ainsi, toutes les scènes que nous voyons, ce sont les tentatives d'un homme de sortir de l'emprise maternelle, ou de retrouver cette emprise sous d'autres formes, plus acceptables, moins taboues. Le Dos Rouge est un conte, en somme, parfois bancal mais entêtant.