Au fond du trou.
L’affaire Marc Dutroux est un traumatisme qui outrepasse largement l’horreur absolue des faits commis. L’enquête laborieuse qui a n’a pas pu sauver la vie des victimes met à l’époque au jour tous les...
le 15 janv. 2025
16 j'aime
16
Quiconque a vu (et aimé) les deux premiers films de Fabrice Du Welz, Calvaire et Vinyan, n’a pu que constater sa violente perte de vitesse artistique depuis dix ans. Amorcée de façon curieuse par le nullissime Colt 45, qu’on aura l’indulgence de ne pas lui créditer totalement (le film a été terminé par Frédéric Forestier suite à un conflit ouvert entre Du Welz et le tandem Lanvin/Starr), et confirmée par son revenge movie américain raté Message From The King, cette perte de mojo s’explique difficilement car Du Welz a, par la suite de ces deux mésaventures, retrouvé les mains libres qu’il avait eues au début de sa carrière.
Pour être tout à fait honnête il faut même souligner qu’une lueur d’espoir est apparue entre Colt 45 et Message From The King avec le craspec Alleluia. Mais depuis, on a dû déplorer deux nouvelles tentatives molles et pourtant purement Du Welziennes (image granulée, personnages louches et ambiances glauques) avec Adoration et Inexorable. Scénario balisé ou vaporeux, personnages inconsistants, imaginaire visuel en berne, rien ne fonctionnait ou presque. De ces points de vue, Maldoror pourrait constituer un retour en forme du réalisateur. Il faut dire que le casting est absolument irréprochable (d’ailleurs, chaque fois que je vois Laurent Lucas à l’écran je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au cœur tant sa carrière ne reflète pas son talent) ; on devrait même ajouter que si ces 2h35 passent aussi rapidement, c’est sans doute grâce à sa galerie de personnages, tous très caractérisés sans être caricaturaux.
Pour ce qui est de la mise en scène, Du Welz cède à des manières datées qui nous font souvent sortir d’un récit (ralentis, freeze frames) par ailleurs assez ronronnant. Car qui, objectivement, ne pensera pas sans arrêt à Zodiac ? Et, peut-être plus gênant, Du Welz fait comme si le true crime n’inondait pas le marché de la série depuis l’avènement des plateformes. Ce ne sera pas lui faire offense que de lui préciser que si Maldoror semble attirer un peu plus de monde en salles que pour ses derniers long-métrages, c’est sans doute parce que son sujet est à haute teneur sulfurique. Et de ce côté-là, il y a de fortes chances que les amateurs du genre préfèrent se replonger dans la tonne de documentaires ou de mini-séries, souvent de grande qualité, fournis par Netflix et cie. Soyons clairs : Du Welz aurait sans doute gagné à créer son propre croquemitaine plutôt que de s’essayer à traiter une affaire (Dutroux) par des voies détournées. Maldoror s’en inspire mais revendique aussi son aspect « romancé » : cet entre-deux semble brider Du Welz alors qu’on le sait capable de montrer à l’écran des cerveaux bien détraqués sans se forcer. Calvaire et Alleluia sont là pour le prouver : le réalisateur belge ne manque pas d’imagination pour trousser des scénarios aussi tordus que ses personnages.
Le côté plan-plan de l’enquête est d’autant plus regrettable que Du Welz a trouvé dans le Paul Chartier d’Antony Bajon une sorte d’alter ego : passionné (de cinéma), obsessionnel (du genre horrifique), brutal et sensible à la fois. On aurait bien imaginé ce Paul Chartier chasser un genre nouveau de serial killer, à la façon de ceux inventés par un Maxime Chattam. D’une certaine manière, c’est ce qu’ont réussi à faire Bustillo & Maury avec Le Mangeur d’âmes, alors même que leurs personnages fonctionnaient sans doute moins bien que ceux du réalisateur belge. Qu’il s’agisse de l’introduction façon documentaire racoleur, de la scène des restes humains dans le garage, de la VHS dégueulasse, de la perquisition qui part en vrille, on sent Du Welz encore très à l’aise dans cette sublimation du sordide, sans pour autant qu’il cède à un voyeurisme gratuit. La Bête bouge encore dans la tête de Du Welz mais il faut maintenant la réveiller pour de bon.
Je ne peux terminer cette critique sans évoquer la musique de Vincent Cahay, qui est sans doute la plus belle surprise de Maldoror. Alternant dissonances, sons percussifs électroniques caverneux et envolées lyriques à la Morricone, elle porte le film plus haut et lui donne à certains endroits des atours de chef d’œuvre auquel il ne peut décemment pas prétendre.
Créée
le 24 janv. 2025
Critique lue 9 fois
D'autres avis sur Le Dossier Maldoror
L’affaire Marc Dutroux est un traumatisme qui outrepasse largement l’horreur absolue des faits commis. L’enquête laborieuse qui a n’a pas pu sauver la vie des victimes met à l’époque au jour tous les...
le 15 janv. 2025
16 j'aime
16
Comme à chaque Étrange Festival, je prends un pass avec une sélection de films aléatoire. Je choisis des courts-métrages, des films en compétition, des rétrospectives, des avant-premières. Je varie...
Par
le 15 sept. 2024
14 j'aime
8
Etrange objet que ce Dossier Maldoror, qui évolue toujours sur la corde raide, en équilibre très instable.Entre la réalité la plus noire et la fiction, tout d'abord. Car Fabrice Du Welz choisit de...
le 16 janv. 2025
10 j'aime
3
Du même critique
La salle de procès qui introduit Les Chambres rouges est d'un blanc immaculé et incarne aussi bien l'inoffensivité de son propos que le vide existentiel qui traverse son héroïne Kelly-Anne. On ne...
Par
le 24 janv. 2024
8 j'aime
2
En interview dans le numéro d’avril de Mad Movies, Alex Garland se réclame d’un cinéma adulte qui ne donnerait pas toutes les clés de compréhension aux spectateurs, à l’instar du récent Anatomie...
Par
le 21 avr. 2024
6 j'aime
FIP, une nuit comme une autre en voiture. L’oreille se dresse à l’écoute d’un bel arpège de guitare réhaussé par un arrangement rythmique somptueux. Et puis cette voix. Aussi nul sois-je en blind...
Par
le 7 mai 2024
4 j'aime
6