C'est un Henri Verneuil débutant qui signe cette adaptation d'une oeuvre de Simenon, intitulé "Lettres à mon juge". Mais si le roman de l'écrivain belge narrait la trajectoire d'un homme devenu l'assassin de sa jeune maîtresse, Verneuil choisit d'édulcorer considérablement le propos, puisqu'il n'est plus question de juge dans "Le fruit défendu", qui s'achève dans un happy end artificiel au possible...
Cela dit, il serait injuste de s'en tenir à cette faute de goût, tant le deuxième long-métrage du réalisateur d'origine arménienne épingle courageusement les mœurs d'une certaine société française dans ces années d'après-guerre.
Le personnage principal est un homme faible (Fernandel, à contre emploi), issu d'un milieu modeste, mené à la baguette par sa seconde épouse (il est veuf), qui s'est donné pour mission de l'éduquer afin de gommer ses manières un peu rustres. Auparavant, c'était sa propre mère qui incarnait l'autorité et pesait sur ses moindres décisions.
Mais cette nouvelle bourgeoisie de province, figée dans la bienséance, va voler en éclat lorsque notre héros rencontre une jeune femme libre (Françoise Arnoul), en fait sa maîtresse et l'introduit à son domicile en tant qu'assistante (il est médecin), sur les conseils avisés de sa propre épouse.
Le parcours du docteur Pellegrin s'avère classique voire convenu, mais encore une fois n'oublions pas que nous sommes en 1952, et que le récit devait apparaître assez radical à l'époque.
On appréciera la prestation à contre-emploi de Fernandel, qui parvient à gommer son naturel jovial voire benêt pour donner une dimension inquiétante à son personnage. Face à lui, Claude Nollet incarne l'élégance glacée, Françoise Arnoul la jeunesse triomphante et inconséquente, tandis que Jacques Castelot est remarquable en rival cynique et désabusé.
Verneuil avait choisi de délocaliser en Arles le roman de Simenon (situé à l'origine en Vendée), pour des raisons évidentes de crédibilité, et la cité impériale offre au final un écrin fort cinégénique à cette histoire plaisante mais cruellement surannée.