Critique rédigée en novembre 2020
Sans raison apparente, un homme, Badii, regard terne, yeux tombant, part chercher de l'aide en plein coeur de Téhéran, à bord d'une 4x4, afin de mettre fin à ses jours. Tour à tour un soldat, un séminariste et un taxidermiste viennent à lui et chacun cherche à sa façon à comprendre ses motivations, à l'encontre même du dogme iranien...
Tout en brossant un exercice relativement plus délicat que ses précédents films (principalement des comédies orientées vers la question de savoir ce que représente le cinéma aux yeux des gens -spectateurs ou non- ordinaires, dont Close up et Au travers des oliviers), Abbas Kiarostami répond par le biais de son Goût de la cerise à la théorie de l'ontologie de l'image photographique d'André Bazin, plus de vingt ans après la publication post-mortem du pilier Qu'est-ce que le cinéma ? (1975).
Par l'exploitation du principe d'imitation, consistant en une relative inspiration des arts picturaux afin d'en tirer le réel, la caméra du cinéaste iranien fondateur révèle la duplicité sémantique de son protagoniste, un cinquantenaire désabusé à la recherche du fossoyeur idéal. Kiarostami répondant certes présent à l'idée de production du réel (plutôt que reproduction), n'en fait pas moins l'usage de la portée philosophique et surtout humaniste constituant l'essence et la richesse de sa filmographie. Le cas échéant, la figure masculine vieillissante prédomine l'image dans un road movie minimaliste et favorable aux questions ouvertes, l'écartant ainsi de toute reproduction formelle et manichéenne d'un récit de type réaliste.
"La mort n'est que la victoire du temps"
Cette sentence amorçant de façon prémonitoire l'enjeu subversif du film, édulcorer le sujet du suicide dans la société iranienne (un sujet tabou), résulte de l'extraordinaire analogie bazinienne entre la momification de l'Egypte antique et la bobine de projection. A l'image de la bandelette sauvegardant un corps sans vie, la bobine sauvegarde une époque donnée, le passé, voire plus encore, la vie.
A cela, découle la fin du protagoniste sur lequel s'ouvre et se clôt le métrage : la quête du témoin de la vie (la sienne), et pour la même occurrence, de l'acteur (de cinéma mais pas que). Effleurant l'étude de caractères résultant des champs / contrechamps (aussi omniprésents qu'efficaces et avec des lignes de dialogues très vives) constituant le noeud de l'intrigue, le film scelle l'immobilité torturée de son personnage au profit d'une analyse sociologique gâtée en suggestions. On pense notamment à celle de l'espoir de la crise spirituelle et technique de la peinture moderne (et son réalisme obsessionnel), avec cette mise en scène riche en plans picturaux sur les collines du plein coeur de la capitale iranienne, et au jeu quasi-amateur livré par les comédiens, substituant ainsi auxdits déboires picturaux, que Bazin n'aurait nullement renié.
En citant Prévert par intitulé pour narrer cet histoire de chassés croisés, proche de la parabole épicurienne, Kiarostami nous livre une production de goût, évocatrice et noire à l'état brut autant qu'exigeante. La dernière image objective, ténébreuse et ambiguë, conserve tout le propos de Bazin sur la relation garantie entre le mot et l'image.
Le cinéma est d'autre part un langage.