Voici donc le dernier film du grand maître japonais Yasujirô Ozu. Le chant du cygne d'un cinéaste de l'absolu qui aura su scruter l'âme du peuple japonais comme aucun autre cinéaste. Pour comprendre le japon de l'avant et de l'après guerre, il faut avoir vu un Ozu. Ce réalisateur aura réussi à transfigurer les rapports familiaux en pénétrant les intérieurs, y déposant son œil-caméra en mode tranche de vie. Un repas, une tasse de thé partagée, un dialogue entre un père et sa fille ou son fils, entre un époux et sa femme, autant d'évidents moments singuliers qu'il aura sû transfigurer en prenant son temps.
Le Goût Du Saké, c'est celui de l'ivresse, celui de la fatalité, le moment venu... celui de la naturelle séparation des enfants et des parents. Le personnage du père, interprété par Chishû Ryû, acteur fétiche de la filmographie d'Ozu, est en constante interrogation sur le devenir de sa progéniture, lorsqu'il reçoit une proposition de marier sa fille. Une fille en âge de convoler avec qui il vit encore, la dernière personne partageant son foyer, ayant perdu son épouse prématurément décédé. Alors s'installe la peur de la solitude, fatalisme emprunt de nostalgie.
On est dans le cadre de la famille traditionnelle japonaise avec sa hiérarchie pré-établie et ses codes de dévotion. Personne mieux que ce cinéaste n'aura su montrer les rapports d'unité et de respect dans la famille japonaise.
Comme toujours, sa caméra se pose et prend son temps pour filmer les rapports, que ce soit les moments de tranquillité, les dialogues entre les personnages ou dans les moments plus dynamiques, les soûleries entre amis notamment, les instants ou le saké devient le moment de partage. Alors les hommes balancent tout ce qu'ils ont à dire, et la nostalgie, les espoirs, mais aussi les regrets.
Cinéaste d'intérieur, la plupart du temps il filme dans des lieux clos, il n'oublie jamais d'élargir son champs de prospection, les couloirs comme profondeur de champs, des fenêtres ouvertes vers l'extérieur, il s'extraie au limite qu'engendre l'intériorité.
Il se sert des extérieurs pour montrer le temps qui passe, des nuages qui passent dans le ciel, un train qui part... Mais également aborder la modernité et l'industrialisation avec ses énormes cheminées d'usine fumante, ses machines qui ronflent.
Film testament, puisqu'il est son dernier, Le Goût Du Saké est une œuvre caractérisée par le fatalisme, en soi il s'agit d'une gageure qu'on pourrait trouver pessimiste, car faisant fi des évidences dans ce cas précis, la roue tourne... mais c'est ailleurs, dans sa capacité à transfigurer l'imagerie par des procédés avérés, voir rétrogrades (la tradition toujours) qu'Ozu réussi à sublimer son œuvre d'instant de grâce et d'émotion pure.