Source : http://shin.over-blog.org/le-jour-des-morts-vivants.html
Après l’épouvantant La Nuit des morts-vivants et le mordant (pardon, je n’ai pas résisté…) Zombie / Dawn of the Dead, cela relèverait du doux euphémisme de dire que George A. Romero était attendu au tournant par ceux qui avaient adorés les deux premiers volets de sa saga des morts-vivants. Dans Le Jour des morts-vivants, il n’est plus question d’une vieille baraque étriquée angoissante ou d’un centre commercial aux espaces de liberté illusoire, mais d’un abri anti-atomique bâti dans les ruines d’une mine. Avec une dominance du blanc médical impersonnel et de froides couleurs métalliques, l’aspect très épuré des lieux contribue à renforcer le sentiment d’oppression et de déshumanisation ambiantes. Vestiges d’une humanité tentant désespérément de survivre, une poignée d’individus résiste tant bien que mal aux assauts répétés des zombies devenus l’espèce dominante (de par son nombre) sur la terre. Sans oublier les thématiques abordées dans les précédents films (dénonciation de la xénophobie, critique du capitalisme), Romero continue son exploration des tréfonds de l'âme humaine. Et ce dès les premières images oniriques du film montrant l'héroïne en proie à des mains déchirant les murs, vision cauchemardesque d’une fameuse scène de La Belle et la Bête de Jean Cocteau et sorte de réminiscence du premier film (lorsque les zombies tentaient d’attraper les survivants à travers les portes et les fenêtres). Jouant un peu le rôle de diplomate (et de point de repère pour les spectateurs) entre deux factions en conflit (scientifiques et militaires), on devine rapidement que la pression du groupe sera plus forte que la volonté de la jeune femme. Un détail m’a également interpellé dans cette séquence : le calendrier. Il pointe sur le 1er novembre. Il réapparaîtra à la fin du film, le lendemain (le 2 novembre donc, "Le Jour des Morts" dans la tradition catholique…). Le message me semble on ne peut plus explicite.
Au centre du film, deux visions s’opposent. Les scientifiques d'un côté et les militaires de l'autre. La raison contre la force en d'autres termes. À cela s’ajoute la neutralité de deux individus désillusionnés s'efforçant de rester le plus à l'écart possible de cette guerre ouverte contre les zombies, mais surtout entre les hommes. Le premier est pilote et ressemble vaguement à Richard Pryor, le second est mécanicien et sosie involontaire de Mister Bean. Au milieu de ce joli bordel, une femme tente de faire le lien. Ne s'intégrant pas à ses collègues scientifiques et violemment repoussée par ce militaire avec qui elle entretient une liaison, elle représente une certaine forme de vaine sagesse, mais surtout la minorité opprimée chère à Romero (dont les zombies sont l’incarnation la plus radicale). Il ne s'agit plus de couleur de peau, mais de sexe. Pourtant, le constat demeure le même dans cette société faite d’inégalités sociales qui génèrent et renforcent l’exclusion. En grand ordonnateur, Romero ne privilégie aucun camp. Modèle type du savant fou (il est d’ailleurs surnommé "Frankenstein" ; même si Mengele aurait été tout autant approprié), le Dr. Logan illustre parfaitement les craintes du cinéaste face aux dérives scientistes. N’hésitant pas à abattre les "cobayes" devenus inutiles, à nourrir les zombies de restes humains ou à s’adonner aux pratiques les plus barbares qui soient (et particulièrement réalistes grâce aux maquillages prodigieux de Tom Savini), il est impossible de rester stoïque face à ce sinistre personnage. D’un intérêt scientifique plus que douteux et avec une totale absence d’éthique, les expériences auxquelles il se livrent n’ont en effet rien à envier à celles du monstrueux "ange de la mort" nazi… Le réalisateur n'épargne pas non plus les militaires en les caricaturant à outrance (humour bas de plafond, remarques misogynes, soumission aveugle à l'autorité, recours systématique à la force), notamment à travers cette déviante représentation symbolique que constitue le totalitaire Capitaine Rhodes et ses méthodes détestables de despote. Autant dire que leur mise à mort inévitable n’en sera que plus libératrice… et attendue !
"Hello, hello ? Is anyone there ?"
Chaque camp ayant un objectif aussi utopique et désespéré que contradictoire – parvenir à domestiquer les morts-vivants ou les éliminer tant qu'il reste des balles (ce qui renvoie la proposition absurde du politicien de Zombie / Dawn of the Dead qui voulait nourrir les zombies ou détruire toutes les villes) – la tension monte progressivement dans ce trou et la cohabitation semble de plus en plus impossible entre scientifiques et militaires. Et pendant que ceux-ci se déchirent, ne communiquent plus et s'isolent, les zombies commencent à s'organiser (évolution majeure apportée par ce film). Si Zombie / Dawn of the Dead suggérait déjà l'idée que les créatures conservaient des bribes de souvenirs de leur vie antérieure (ce qui les poussaient à se rendre mécaniquement au centre commercial), Le Jour des morts-vivants va plus loin. Alors que les êtres soi-disant "évolués" ont des comportements bestiaux, agissent égoïstement et semblent s’auto-condamner à leur chute prochaine, les zombies "stupides" éprouvent des émotions, sont solidaires et coordonnent leur inexorable domination du monde. Là encore, George A. Romero développe sa réflexion par l’entremise d’un archétype révélateur.
Avec la mise en place du zombie le plus attachant de l'histoire cinématographie (Bub / Boubou dans la version française), le réalisateur amorce effectivement cette idée d’intelligence (il parvient à contrôler son instinct anthropophage et reconnaît le grade du Capitaine Rhodes auquel il adresse un salut militaire sans retour) et de sensibilité chez les morts-vivants (il apprécie visiblement la musique et porte une affection certaine à celui qui l’éduque). Bub le zombie tend même à s’humaniser à mesure que les humains se déshumanisent ; et en devient sarcastiquement plus sympathique, plus humain que l’homme. Plus que jamais, les morts redeviennent "vivants" (et dotés d'une conscience de plus en plus palpable). Miroir déformant de ce que l’humanité est devenue, l’apparence monstrueuse de Bub tranche littéralement avec la noblesse qui grandit en lui. "Il n’existe pas de peuples non civilisés" disait Marcel Mauss, "il n’existe que des peuples de civilisations différentes". Véritable messie d’une espèce sans cesse exclue, opprimée et maudite, Bub augure le renouveau de la civilisation dans une version tragi-comique de l’évolution des espèces de Charles Darwin. Un fantastique doigt d'honneur, ici en forme de salut militaire finale ironique, des majorités dominées aux minorités dominantes.
"The Dead walk !"
Débutant par une scène d’ouverture dantesque (où retentit le légendaire "Hello, hello ? Is anyone there ?"), Le Jour des morts-vivants propose d’emblée la plus belle séquence d’apocalypse de la saga avec des rues désordonnées, des billets de banque qui voltigent, pas une âme qui "vive" (si ce n’est un crocodile errant ; clin d'œil au Crocodile de la mort de Tobe Hooper ?) et un journal à l’accroche effrayante "The Dead walk !" (mais qui pour le lire ?). Pourtant, force est d'avouer que le film met un certain temps à entrer dans le vif du sujet et est parfois trop bavard (certaines séquences dialoguées auraient d'ailleurs peut-être gagné à être quelque peu élaguées). Ici, les affrontements sont davantage verbaux que physiques et la tension psychologique est préférée par Romero à l'horreur pure de La Nuit des morts-vivants et à l’action soutenue de Zombie / Dawn of the Dead. Ce qui n'empêchera pas le film de maintenir une tension claustrophobique continue et de s'achever dans une apothéose gore où Tom Savini s'en donnera à cœur joie, gâtant l’appétit de l’amateur de gore avec amputations, éviscérations, énucléations et autres mutilations sanglantes au menu. Le cinéaste misant principalement sur une réalisation sobre aux coupes nettes et aux plans panoramiques, ce sont plutôt la qualité des effets visuels (incomparablement meilleurs que ceux des précédents volets) et l’excellence de la bande sonore (malgré un doublage français un brin nasillard) qui seront à retenir. Les passages où le cri du militaire se déforme à mesure que ses cordes vocales se distordent ou l’hallucinant jeu de réverbération sonore lors du gunfight de la mine sont tout simplement fabuleuses. Et on reste également très impressionné par ces cadavres déversant toutes leurs tripes à mesure qu'ils se relèvent... L'effet est franchement saisissant ! Il est tout de même bien dommage que la première heure soit si peu palpitante (exception faite de l'hallucinante scène d'ouverture) au regard de la dernière demi-heure autrement plus jouissive...
Si on veut chipoter, on pourra quand même reprocher une interprétation un peu poussive de certains acteurs (aucun n’ayant le charisme d’un Duane "Ben" Jones, d’un Ken "Peter" Foree ou d’un David "Stephen" Emge), une héroïne parfois agaçante dans ses dilemmes de cœur (et je n'ai vraiment pas accroché au jeu de Lori Cardille) et un personnage vraiment navrant (Miguel, le militaire pathétique et dépressif, dont le sacrifice final permettant l'invasion de ses nouveaux "frères" est peu convaincant). Toutefois, ces caricatures de personnages sont peu importantes en comparaison de la richesse philosophique du film. Bien au contraire, alors que chacun semble prisonnier de sa propre condition, les zombies prennent de la profondeur. D'abord avec Bub donc, mais également avec les autres représentants de son espèce. Bien qu'effectivement effrayants, ils n'en craignent pas moins l'homme (on le voit à leur manière de rester distants lorsque les militaires tentent de les capturer). Et si on s'en doutait déjà depuis un moment, mais Romero enfonce le clou : les zombies n'ont peut-être pas des gueules de "gentils" mais, les véritables "méchants", ce sont les hommes. Le réalisateur poussera davantage l'empathie du spectateur pour les morts-vivants avec le mésestimé Land of the Dead et son irrévocable révolution zombie. Les seuls qui parviendront à (momentanément ?) s'en sortir seront d'ailleurs ceux qui ont la philosophie de vie la plus "humaine" (loin des luttes de pouvoir et d'autorité). Ce calendrier qui réapparaît à la fin pourrait signifier un espoir pour l'homme, un nouvel Eden (symbolisé par cette île paradisiaque sur laquelle les derniers survivants échouent). Mais, la date significative ("le Jour des Morts", donc) et le songe de la jeune femme laissent un sérieux doute. S'agit-il seulement de la fin d'un rêve (le monde auquel on était si attaché) ou du début d'un cauchemar (pour l'humanité) ? Pour ma part, j'y vois plutôt la tentative désespérée de l'homme de se rattacher à un bout de terre, si minime soit-il (une simple île, alors qu'il disposait du monde). La terre n'appartient plus aux vivants. Le titre du dernier (?) film de la saga est sans équivoque, Land of the Dead : Le Territoire des morts. Et même si Le Jour des morts-vivants n'est pas aussi accompli que ses prédécesseurs, le questionnement soulevé par Romero demeure toujours aussi fascinant et sa faculté à se soustraire des contraintes matérielles admirable. Surtout, il reste encore aujourd'hui, malgré ses défauts indéniables, l'une des références du genre. Même si l'on regrette assez cruellement ce manque de rythme flagrant qui pénalise inutilement le film...