Bertrand Tavernier, par ailleurs brillant réalisateur, n'a pas pu s'empêcher dans sa longue carrière de verser ici ou là dans la leçon de morale outrancière, ce qui laisse pantois quand on les compare à certains de ses films beaucoup plus équilibrés (L.627, 1992) voire apparemment neutres (Quai d'Orsay, 2013 – on croirait un autre réalisateur).
Dans Le juge et l'assassin (1976), les images sont superbes, le décor montagneux magnifique, la musique réussie et les acteurs – Michel Galabru et Philippe Noiret en tête – excellents. Il fallait bien que ce soit rappelé.
Tout le propos du film, quant à lui, tourne autour des portraits dressés de l'assassin Joseph Bouvier (Michel Galabru) et du juge Rousseau (Philippe Noiret). Le premier est certes violeur et saigneur d'adolescents, mais c'est avant tout un fou, c'est-à-dire que s'il est coupable, il n'est néanmoins pas responsable de ses actes. Le film est très clair là-dessus, son exécution finale étant présentée comme une terrible injustice. D'ailleurs, malgré ses crimes, il est touchant : il ne voulait pas sortir de l'asile après sa tentative de suicide, et alternera sans cesse entre récriminations anarchistes envers les institutions selon lui responsables de sa situation et moments d'abattements, de sanglots devant les calvaires, de prières à la Vierge Marie.
Le second est peut-être du côté de la loi, mais c'est la soif des honneurs qui le meut et certainement pas la vertu. Arrêter un fou, ce n'est guère gratifiant, il faut donc convaincre l'opinion qu'il est sain d'esprit – ce qui conduira fatalement à son exécution. Pour parvenir à ses fins, il usera de toutes les manipulations, de tous les mensonges, rompra le secret de l'instruction en divulguant des informations à la presse, se servira de la caution scientifique de psychiatres acquis d'avance à sa cause.
Rien ne nous sera épargné concernant ce juge, ses proches et ceux de leur camp. Sa mère (Renée Faure) s'adonne au chantage à la soupe populaire (il faut signer une pétition anti-dreyfusarde pour y avoir droit), le cynique procureur Villedieu (Jean-Claude Brialy), qui revient de Saïgon (relents de colonialisme) et ne se sépare pas de son domestique indochinois (relents d'esclavagisme), avoue sans complexe, un sourire au coin des lèvres, que le corps scientifique est à la botte de la "justice", que Dreyfus est peut-être innocent, lâche à propos de l'accusé : « C'est un pauvre, il n'a aucune chance. » En arrière-plan, on voit des graffiti réclamant la mort de Dreyfus, des soldats faire des autodafés de livres de Zola, des affiches de La Croix se vantant d'être le journal « le plus anti-juif de France »...
Le dénouement de cette affaire c'est, peu avant la condamnation finale, le juge Rousseau qui rejoint sa maîtresse Rose (Isabelle Huppert) pour abuser d'elle – or Rose est rousse et ressemble beaucoup à Louise, la première fiancée de Bouvier ; on les verra côte-à-côte quelques scènes plus loin – puis la condamnation finale. La démonstration est terminée : le juge Rousseau est un violeur comme Bouvier et un meurtrier comme Bouvier, mais à la différence de Bouvier, il est responsable de ses actes, donc c'est pire.
Enfin l'épilogue : Rose la prolétaire vertueuse quitte le juge Rousseau, rejoint les ouvriers de la mine qui entament un mouvement de grève pour protester contre leurs conditions de travail en chantant un magnifique « La commune est en marche et demain nous vaincrons ». Là-dessus, l'armée met en joue les grévistes à travers les grilles. Gros plans sur des visages d'enfants avec ce message :
Entre 1893 et 1898, le sergent Joseph Bouvier tua 12 enfants. Durant la même période, plus de 2.500 enfants de moins de quinze ans périrent dans les mines et les usines à soie, assassinés !
Une ode à la subtilité !
Et pourtant quel film !