Enfin, j’ai revu ce film que j’avais en DVD depuis quelques années sans avoir pris le temps de le voir. J’avais vu ce film probablement à sa sortie mais n’en avais plus qu’un lointain souvenir.
Récemment, c’est la critique d’un de mes éclaireurs, Snifou, qui m’avait sacrément intrigué et avait attiré mon attention sur ce film.
Pour être clair, ce film me laisse une double impression que je vais essayer d’analyser. D’abord le jeu des acteurs, le travail de réalisation de Tavernier. Puis, ensuite, le scénario et le message subliminal qui accompagne le film.
Le travail de mise en scène est à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’un bon réalisateur comme Tavernier : c’est excellent. Les prises de vue, la photographie, les paysages ardéchois sont très bien rendus. Les décors intérieurs, les fermes, les costumes de la fin XIX sont reconstitués avec minutie. Tout ceci est bien convaincant.
Le jeu des acteurs.
Michel Galabru dans le rôle de Bouvier, un ancien sergent de l’armée, illuminé, assassin et dément, " l’anarchiste de Dieu ". L’acteur est bluffant car casse dans ce rôle l’image du comique débonnaire qu’il traine souvent. A noter quand même que le registre de Galabru est bien plus étendu que celui qu’on lui attribue généralement. Je pourrais citer plusieurs personnages où l’habituelle faconde méridionale de Galabru cache au contraire une rigueur intellectuelle sans faille.
Face à lui, Noiret est comme toujours excellent : ici il joue le rôle d’un juge, le juge Rousseau, dont l’ambition est tellement dévorante qu’il manipule un suspect pour en faire la grande affaire susceptible de lui ouvrir des portes de la haute magistrature, parisienne, pourquoi pas. C'est un rôle très convaincant d'un beau salaud. C’est aussi le fils à sa Maman (excellente Renée Faure) qui ne vit que pour voir briller son fils.
Le procureur de Villedieu est joué par un Jean-Claude Brialy, plus ambigu que jamais. Son personnage est celui d’un magistrat viré de Cochinchine pour on ne sait trop quelle raison et exilé dans ce coin perdu d’Ardèche. Il suit et appuie les gesticulations de Noiret sans en être dupe. C’est l’image de l’aristocrate qui pleure sur son sort, sa perte de prestige. Il est antisémite car "ça ne présente pas de risque et c’est béni par l’Église".
Et puis, il y a l’intéressant personnage de Rose, interprétée par une encore jeune mais déjà fort talentueuse Isabelle Huppert. C’est la maîtresse du juge Rousseau (Noiret) mais une maîtresse cachée, que Noiret n’a jamais présenté à sa mère … Le problème étant sans doute la basse extraction de Rose. L’image d’une certaine pureté.
Bien d’autres acteurs connus complètent le casting comme Yves Robert, Jean-Roger Caussimon en chanteur des rues, Monique Chaumette, Gérard Jugnot, Christine Pascal, etc etc
Maintenant, venons-en au scénario.
C’est Aurenche, Bost et Tavernier qui l’ont établi. Ce sont des gens qui ont travaillé avec des Delannoy, des Autant-Lara, des Duvivier et j’aurais tendance à plutôt les apprécier.
Sauf qu’ici ils nous ont fait un gloubi-boulga où tout est savamment mélangé et un peu indigeste.
Le sujet du film est à la base l'instrumentalisation de la justice par un juge qui utilise un suspect pour son ambition personnelle (sans risque puisqu'il s'agit d'un péquenot). On pourrait d'ailleurs ergoter car le film se veut historique après avoir modifié sensiblement toutes les références historiques. En un mot, on parle ici de Bouvier alors qu'on se réfère à une affaire réelle "Vacher" que l'on plaque sur une période différente (qui va bien pour la démonstration)…
Mais que viennent faire ici la comparaison pour le moins inappropriée de 12 enfants morts contre 2500 dans les mines ? Tavernier veut-il signifier que pour 12 morts on ne va quand même pas en faire une pendule et que le personnage de Bouvier n'est finalement pas si coupable ? J'ose espérer que non ...
Et puis le parallèle insistant sur Dreyfus (Mort à Dreyfus affiché sur plusieurs murs), que vient-il faire ici ? Est-ce pour signifier que le pouvoir et l’Église étaient antisémites ? Et surtout qu'est-ce que ça vient faire ici ? C'est un autre sujet. Sans oublier la grève d'une usine à la fin où on retrouve Rose qui a ou changé de camp ou retrouvé son camp. Qu'est-ce que ça vient faire ici ? Pourquoi mélange-t-on l'histoire de Bouvier et du juge avec des problèmes sociaux où l''arée intervient pour déloger les grévistes ? Là encore c'est un autre sujet.
Conclusion : beaucoup de confusion dans ce scénario. Le comble c'est que le sujet du film est une manipulation d'un juge (Noiret) et que l'image globale du film se traduit par une manipulation du spectateur par les scénaristes (pour quel motif ?) !
Au final, une excellente mise en scène et d'excellents acteurs complètement gâchés par les messages inappropriés du scénario. Je n'irai toutefois pas aussi loin que mon éclaireur Snifou car je reste sur la note pivot 5 (ni bon ni mauvais bien au contraire)