Le sang perle sur son visage, la berceuse s’élève une dernière fois, et le silence s’installe, glaçant. Le Labyrinthe de Pan est un film qu’on ne quitte jamais vraiment. Il s’accroche à la mémoire, il obsède, il hante. Parce qu’il raconte l’enfance qu’on égorge, le rêve qu’on brise, l’illusion qu’on éventre. Il est un mirage funèbre, une fresque aussi sublime que cruelle, où l’imaginaire s’infiltre dans la réalité comme une herbe folle s’accroche aux ruines d’un monde en cendres.
Guillermo del Toro, dans un éclat de génie, sculpte ici un conte d’une noirceur abyssale, où la féerie ne console pas mais reflète, déforme et exacerbe. Dans une Espagne exsangue, broyée par la guerre civile et le joug franquiste, une enfant cherche un refuge. Ofelia n’a plus d’innocence à perdre, seulement l’espoir vacillant de retrouver une part d’elle-même dans un royaume caché sous terre. Mais ni les fées, ni le faune au regard insondable ne lui promettent une échappatoire clémente. Son voyage initiatique est une descente. Une traversée du miroir où chaque épreuve, au lieu d’offrir des réponses, ne fait qu’arracher un peu plus le voile sur la brutalité du monde.
Chaque séquence est un tableau, chaque ombre une menace. Il y a l’arbre creux, ventre malade où se tapit un crapaud obèse, écho monstrueux de l’oppression qui ronge les âmes. Il y a ce repas interdit, dressé dans un sous-sol lugubre, où veille le Pale Man, créature cauchemardesque dont la silhouette chétive cache une faim insondable, figure d’un pouvoir qui dévore sans jamais voir, sans jamais entendre. Et il y a le labyrinthe, ultime énigme, où les pierres semblent retenir le souffle des âges, où l’histoire et le mythe se confondent, s’enlacent, se consument.
Mais ce que Le Labyrinthe de Pan raconte avant tout, c’est l’horreur d’un réel sans échappatoire. Parce que la guerre est partout. Parce que Vidal, monstre de chair et d’orgueil, ne laisse aucun doute : il n’a pas besoin d’être entouré de chimères pour être terrifiant. Sa violence est sèche, brutale, sans fard, tranchant avec l’onirisme des quêtes d’Ofelia. Pourtant, Guillermo del Toro brouille les frontières. Il fait dialoguer ses mondes. La clé recrachée par un batracien se retrouve entre les mains d’une résistante, une dague volée dans un rêve devient une arme bien réelle. Chaque symbole trouve son reflet, chaque illusion son pendant sanglant.
Et Ofelia, frêle, vulnérable, mais résolue, avance dans ce théâtre d’ombres, portée par une foi enfantine que personne ne peut lui arracher. Jusqu’à cette dernière épreuve. Jusqu’au choix ultime. Jusqu’à cet instant où elle comprend que l’ultime clé est en elle. Refuser d’obéir. Dire non à la fatalité. Accepter l’innocence comme un acte de résistance.
Alors la lune brille, alors une porte s’ouvre, alors la berceuse reprend. L’image est double, comme tout le film. L’une raconte la chute, l’autre l’élévation. Laquelle croire ? Peu importe. Ce qui reste, ce qui brûle en nous bien après le générique, c’est la certitude d’avoir assisté à quelque chose de rare. Un récit qui n’appartient qu’à lui-même, à la fois intime et universel, cruel et envoûtant, implacable et bouleversant.
On ne sort pas indemne du Labyrinthe de Pan. On s’y perd. On y pleure. Et, peut-être, on y croit.