Film sur le cinéma comme vecteur de jeu et de transmission (avec une bande d'enfants bien décidés à tourner leur propre film), hommage permanent à Jean-Pierre Léaud, Le lion est mort ce soir amène une touche japonaise dans un cinéma français cartésien, une vision où la mort est dans la vie et la vie dans la mort.


Comment filmer la mort au cinéma ? Il y a quelques mois la question s'était déjà posée avec Jean-Pierre Léaud, monarque moribond n'en finissant pas de mourir dans la Mort de Louis XIV ; un roi de sang divin réduit à n'être qu'un corps en voie de putréfaction, amas de sang, de viscères, d'organes. La question se pose à nouveau dans le Lion est mort ce soir, tourné à quelques mois d'intervalle, toujours avec Jean-Pierre Léaud. Jean, un acteur (plus ou moins Léaud lui-même) tourne un film dans le sud de la France et à la veille de devoir tourner sa propre mort, il se pose des questions avec son réalisateur : doit-il mourir violemment en partant dans un râle convulsif (son idée) ? Ou dans un silence et une sérénité où seuls les yeux devenus clos indiqueraient que la mort est passée par là (l'idée du cinéaste) ?
Le film de Nobuhiro Suwa n'a que peu avoir avec celui d'Albert Serra, le second ausculte la mort, le premier y célèbre la vie. Mais même dans le Lion est mort ce soir, la mort plane lourdement sur le film : mort de cinéma, mort dans la vraie vie et persistance du deuil, et même nouvelle vie après la mort avec l'apparition d'un fantôme.


De prime abord, on ne peut voir dans le film qu'un hommage appuyé au cinéma et précisément au cinéma français. A travers une double mise en abime - le film que tourne Jean et le film de fantômes que les enfants vont tourner dans une maison abandonnée, Le lion est mort ce soir propose de revenir à l'essence même du cinéma, à l'amour du jeu (dans le sens enfantin de la formule), à la passion dans ce qu'elle a de plus désintéressée - ce qui nous vaut quelques séquences de tournage où Leaud s'en donne à coeur joie dans la liberté et le décalé devant des enfants stupéfaits mais conquis. Suwa va ici au bout de sa francophilie en tournant en Provence sur les traces de Jean-Pierre Léaud, plus Léaud que jamais : le cinéaste japonais joue sur cette ambiguïté (Léaud ou pas Léaud) s'amuse à lui faire retrouver Isabelle Weingarten, sa partenaire de la Maman et la putain ; mais comme l'actrice le dit clairement, Léaud n'est pas venu pour elle.


Jean, le vieil acteur retrouve ainsi dans la maison abandonnée où il a jadis vécu Juliette, le fantôme de son premier (et seul véritable) amour (Pauline Etienne). Pas de peur, d'effroi, ni de grand effet, chez Suwa, morte et vivant se rencontrent simplement, discutent tranquillement avec spiritualité, comme si le passage entre les deux mondes était une chose naturelle. Ce naturel est une des grandes forces du film, un naturel que l'on retrouve aussi avec les enfants : à l'instar de Truffaut dans l'Argent de poche, Suwa trouve la bonne distance avec eux, arrivant à n'être le témoin discret de leurs conversations, leurs jeux, leurs questionnements. Le cinéaste n'est pas non plus béât devant toutes ces gosses et amène de la gravité dans ce monde de jeu et d'amour du cinéma : un des enfants est lui-même encore fortement marqué par la mort de son père. Enfant et adulte sont ainsi réunis par un même deuil, un même destin. Et cet enfant devra-lui même trouver le chemin qui lui fera surmonter cette épreuve : chez Suwa le fantaisiste, cela passera par l'apparition d'un lion, figure symbolique du père.


A la fin du chemin, enfant et adulte seront apaisés et Jean trouvera le moyen de jouer la mort : dans la paix intérieure mais les yeux ouverts. Toujours les yeux bien ouverts.


https://www.benzinemag.net/2018/01/02/lion-mort-soir-nobuhiro-suwa/

denizor
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le 2 janv. 2018

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