Un film sur l'excès, en période de fêtes de fin d'année, c'est là le magnifique cadeau du Père Noël Martin Scorsese. L'univers de la finance ne sert que de toile de fond à The Wolf of Wall Street qui va chercher très loin dans le comportement humain, ses réactions et les conséquences qui peuvent en découler. A travers le personnage de Jordan Belfort, magistralement incarné par Leonardo Di Caprio, Scorsese et son scénariste Terrence Winter brossent le destin d'un homme qui se laisse séduire par les sirènes de la gloire et de la fortune. Plus que cela, il s'y vautre sans aucune restriction, se laisse submerger entièrement, quitte non seulement à se mettre en danger lui-même, mais sa famille aussi. Il devient un cas clinique sous la caméra de Martin Scorsese, soit entièrement dévouée à la publicité de Jordan Belfort en gourou de la finance, soit témoin privilégié de ses moments de crises qui deviennent de plus en plus nombreuses. Tout le filme fonctionne sur cette dichotomie entre l'euphorie la plus totale et excessive, et la détresse la plus complète et destructrice.
The Wolf of Wall Street regorge de scènes marquantes et le montage de Thelma Schoonmaker, qui alterne entre moments de bonheur et de malheur, est remarquable à plus d'un titre, car il évite astucieusement toute empathie malsaine avec Jordan Belfort, sans omettre d'exposer en pleine lumière la fascination qu'il exerce sur les autres. On retrouve ici les thèmes de prédilection du réalisateur de La Dernière Tentation du Christ comme l'ascension rapide d'un homme normal à priori, son incapacité à gérer le succès et sa chute dans la déchéance. Et c'est le cercle familial qui sera la première victime de cette descente infernale. Les scènes de ménage entre Belfort et sa femme sont d'une violence extrême et offrent à Leonardo Di Caprio et Margot Robbie une opportunité de montrer leur talent et ils ne s'en privent pas, pour notre plus grand plaisir.
Dans ce long métrage il y a surtout Leonardo Di Caprio, puis ceux et celles qui gravitent autour comme Rob Reiner en père irritable, Joanna Lumley en tante qui sert de prétexte à une arnaque fiscale gérée par Jean Dujardin, impeccable en banquier suisse, peu regardant de la loi. Tous sont au diapason de Di Caprio qui fait là une nouvelle fois une prestation remarquable. Il parvient à nous émouvoir autant qu'à nous irriter, et avec la même intensité. La séquence sur le yacht avec l'agent du FBI en est la plus belle illustration.
The Wolf of Wall Street est une comédie grinçante qui met mal à l'aise à plusieurs reprises. On y voit des êtres humains sous leurs plus mauvais jours dans des fêtes dantesques et orgiaques où chacun va au delà de ses limites, en faisant montre du plus grand manque de respect envers les autres, soit en s'en servant, soit en s'en moquant. Le film fait d'ailleurs un étalage pertinent de toutes les addictions: drogues, sexe, alcool, argent, succès. C'est un engrenage imparable qui prend possession de Jordan Belfort et ne le lâchera plus jusqu'à l'excès de trop. En ce sens le film correspond à merveille à la citation de Frédéric Beigbeder: "Les fêtes ont été données à l'homme pour cacher sa pensée." Et la fin qui peut faire froid dans le dos, procède de la même manière qu'un autre chef d'oeuvre de Scorsese, Taxi Driver, avec toutefois encore plus de cynisme.