Tu seras un homme, mon fils
Voir Le Loup de Wall-Street un 26 décembre a fortement contribué à perturber ma digestion. Et pour cause, le film représente 3 heures magnifiques et écœurantes. On n’en peut plus de tous ces excès, de tout cet argent, de toute cette débauche. 2013 nous aura offert un dernier grand film de plus de 3 heures, ce qui est une longue durée mais qui pour moi, avec La Vie d’Adèle, a fait ses preuves lorsqu’il s’agit d’enrichir considérablement l’expérience de spectateur. Une vie qui défile sous nos yeux ébahis, (et quelle vie !) et on voudrait en voir davantage.
Le rythme de l’intrigue est effréné, on ne s’ennuie pas une seconde, si bien que je peine à en dire quoi que ce soit. Du coup, je vais justifier cette note exceptionnelle de 9 que j’ai mise, en listant tous les points positifs :
- Ce que je disais, cette utilisation parfaitement maitrisée du temps,
- Le regard porté par Scorsese sur Belfort : il n’intervient jamais. Pas de jugement, pas de pathos, ce qui est particulièrement agréable. La voix du narrateur apporte la légèreté que certaines images n’ont pas, pour toujours laisser la libre pensée au spectateur. Du coup, le spectateur est lui-même bien embêté : tantôt choqué, tantôt attendri ; le voyant tour à tour comme un monstre, un géant, et un être fragile, on saisit toute l’ambigüité du personnage, et on sent que la distinction gentil / méchant n’a ici pas sa place. Car si l’on voit Jordan Belfort dans des situations particulièrement repoussantes, certaines scènes montrent aussi bien sa splendeur. Rien que de voir les yeux illuminés de ses jeunes loups assoiffés d’argent, que leur maître semble nourrir de ses paroles, ou le tout dernier plan qui s’arrête sur les visages de tous les spectateurs admiratifs. On se retrouve face à eux, dans une situation comparable. Ses regards admiratifs que l’on retrouve de nombreuses fois tout au long du film m’ont particulièrement marqués. On ressent une étrange impression face à Belfort, celle d’être à la fois très éloignés de lui en tous points, mais en même temps d’en être très proches, étant donné l’impact de ses agissements sur le monde entier, et donc sur la vie de chacun des spectateurs.
- Le film est éclairé par des scènes magnifiques, quasi-parfaites. Je pense à cette dernière scène qui m’a coupé le souffle. Je pense également aux scènes les plus longues du film, celles des discours que Belfort fait à ses employés, toujours en entier. Avec son micro, son charisme, ses phrases accrocheuses, le divertissement qu’il offre, on voit ce qu’est un vrai meneur de foules. Ces scènes suivent une logique de comparaison permanente à un concert de rock dans laquelle Belfort est la star et les traders, la foule qui suit ses gestes.
- Je trouve que le film tient un fil directeur intéressant, c’est ce que j’y ai vu en tout cas : la virilité. A ce titre, le passage où tous les traders reprennent en cœur la chansonnette du premier patron me semble bien illustrer l’idée : une horde de loups faisant vibrer leurs cordes vocales dans les graves pour montrer ce qu’ils ont dans le ventre. C’est un exemple parmi d’autres (la présence du père, la place des femmes, …) qui m’a fait penser ça : un beau portrait de ce que certains appelleraient la virilité moderne.
- Un lot d’acteurs fantastiques (si Leonardo n’a pas enfin son Oscar, c’est que le vote a été truqué)
Ne comptez pas sur moi pour vous donner maintenant les points négatifs, puisque je n’en ai pas trouvé, à part peut-être les réactions qu’ont suscitées certaines scènes dans une salle remplie de personnes aimant réagir à voix haute, ce qui est très agaçant et qui donne à peu près ça : « Roh, il va pas faire ça quand même … Eh ben si ! Olala » « Olala » « Eh ben voilà, il a remis le nez dedans ! » « Olalalala » …
Un film admirable qui échappe à tous les pièges de son sujet, je dis bravo et je m’incline !