C'est fou comme sur un canevas quasi-similaire et quelques ingrédients identiques, on peut faire deux films diamétralement opposés. On reprend les mêmes types de personnage ou à peu près, on reprend la même époque, la Belle Époque, on reprend la même actrice principale, on reprend un même scénariste, on reprend le même réalisateur. On réalise le tout avec juste une année d'écart.
Et pourtant Douce (que je vous recommande grandement !) est aussi tragique, noir et pessimiste que Le Mariage de Chiffon est comique, ensoleillé et optimiste (ce qui ne devait pas faire de mal à une époque où les cieux étaient très sérieusement obscurcis !).
Oublions Douce, la comparaison se devait d'être faite... Donc Le Mariage de Chiffon...
Il y a deux Claude Autant-Lara (bon ici on ne retrouve pas encore le style bien identifiable du cinéaste ; le trait impitoyable sur fond de satire féroce que l'on retrouvera l'année suivante... non, on avait dit qu'on oubliait !), celui talentueux capable de véritables éclairs de génie, et celui qui méritera la décennie suivante le reproche de la Nouvelle Vague à savoir être engoncé dans la Qualité française.
Parfois, on peut avoir les deux pour un seul et même film... Ici c'est le cas...
On a une mise en scène étriquée, trop renfermée, trop studio, trop classique. Et puis, on a quelques éclairs de génie à l'instar de la visite du vieux lieutenant-colonel dans une maison qu'il compte acheter sur l'hypothèse d'un futur qu'il sait en toute lucidité pouvoir ne pas se réaliser. La caméra se laisse aller, flotte. C'est un beau moment de mélancolie. La rencontre dans l'ombre de la nuit avec une chaussure perdue à la Cendrillon aussi. Et on a la scène du décollage de l'avion, beau moment de soleil, avec un toujours aussi exubérant Robert Le Vigan, comme toujours redoutable pour ce qui est de voler la vedette à ses partenaires, en huissier pétri de bienveillance.
Outre "La Vigue" de Céline, Odette Joyeux est mignonne à croquer, André Luguet assure toujours autant dans son registre habituel de vieux beau pince-sans-rince avec un cœur gros comme cela, et Jacques Dumesnil, en pionnier de l'aviation distrait quant aux choses de l'amour, ajoute la touche finale au charme d'ensemble.
Bref, comme bilan, l'ensemble est ponctué de défauts style Qualité française avant l'heure, mais les quelques belles qualités (vraies qualités !) ont suffisamment de poids pour faire pencher la balance en faveur de ce film qui se regarde sans déplaisir.