C’est l’annonce d’un massacre, celui de Fort Apache, comme l’indique l’absurde titre français, mais aussi celui d’un officier, le lieutenant-colonel Thursday (Henry Fonda). Les deux sont indissociables du grand portrait militaire voulu par Ford dans sa quête toujours évidente de traiter le western sous des angles singuliers. Ici il sera question d’interroger sur le culte réserver à certaines légendes dont le mérite se discute, dont certaines figures auront fait plus de dégâts qu’autre chose. C’est toute l’histoire de l’armée : combien de supposés héros l’étaient vraiment ? Quel est la part de vérité ou de mensonge qui entoure les personnages les plus respectés de notre histoire ? Ce film c’est la parabole de ces interrogations, c’est la réponse de Ford à ce questionnement anti-dogmatique. Son despote, c’est Henry Fonda, cet immense acteur qui campe la folie d’un homme, celui du lieutenant-colonel Thursday, envoyé contre son gré à Fort Apache pour officier en tant que Commandant des troupes. Ce qu’il va y trouver ne va guère l’enchanter : soldats inexpérimentés, officiers alcooliques, dont certains en prisons, paix avec les indiens, désobéissances chroniques.
Thursday, dont l’inexpérience pour les guerres indiennes se révèle totale, plonge, lui, ses hommes, son camp dans une guerre dont personne ne voulait. Les causes sont nombreuses et Ford, bien que traitant d’une œuvre qui n’a rien d’historique (cela reste une fiction), les dénonce très subtilement. On le constate lorsqu’il met en scène la corruption dû au trafic d’alcool et d’armes qui se veut évidente. Car son personnage, raciste et orgueilleux, se vexe de l’accusation et se met à mépriser les Indiens auxquels il déclare la guerre. Le cinéaste synthétise tous les vices de l’être humain : hypocrisie, vanité, orgueil, racisme. Le tout concentré en un seul homme qui cause avec lui la chute de tout ceux qui l’entoure. Face à ce suicide collectif, rare sont ceux qui osent apporter de la résistance : les officiers doutent de lui mais font face au devoir de respecter le grade et l’uniforme. York (génial John Wayne) tente bien de le raisonner mais se heurte au jusqu’au boutisme d’un homme autodestructeur. Avec lui on se questionne : qu’aurais je fait à sa place ? Me serais je refuser à respecter les ordres fous d’un dictateur autoritaire ou serais je rentré dans le rang, comme tout le monde ? La question vaut ce qu’elle vaut mais pointe du doigt la richesse de ce western qui ne se limite pas à conter le récit d’une simple guerre, aussi fictionnelle soit-elle. Et, bien que légère sur la forme, notamment de par ses intrigues romantiques, Fort Apache reste une œuvre définitivement sérieuse sur le fond qui a le mérite de faire réfléchir le spectateur.
À propos du film, Ford s’explique avec Peter Bodganovich :
«Dans Fort Apache, pensez-vous que les hommes avaient raison d’obéir à Fonda, même s’il était évident qu’il avait tort et qu’ils seraient tués à cause de cette erreur ?
— Ford : Oui. Il était leur colonel et ce qu’il disait suffisait.
— P.B. : La fin de Fort Apache devance ce que dit le journaliste dans L’Homme qui tua Liberty Valance : «Lorsque les légendes deviennent la réalité, on imprime les légendes. » Êtes-vous d’accord avec cela ?
— J.F. : Oui, parce que je pense que c’est bon pour le pays. Nous avons beaucoup de personnes qui sont supposées avoir été de grands héros et nous savons sacrément bien qu’elles ne l’ont pas été. Mais c’est bon pour le pays d’avoir des héros à admirer. Prenons Custer, un grand héros. En réalité il ne l’était pas. Ce n’était pas un homme stupide mais ce jour là il s’est comporté stupidement. Ou Pat Garrett qui est un grand héros de l’Ouest. Il ne l’était pas non plus – il est censé avoir tué Billy the Kid, mais en réalité c’est un de ces hommes qui l’a fait. D’un autre côté, bien évidemment, les légendes ont toujours une base.»
Ou comment résumer l’intelligence d’une œuvre en une conversation.