Suite à une première collaboration en 1971 pour l'adaptation cinématographique du très chouette Journée Noire Pour Un Bélier, le romancier Mario Fanelli et le réalisateur Luigi Bazzoni réitèrent l'expérience (le mot est lourd de sens) 4 ans plus tard avec Le Orme, un psycho-thriller qui intègre quelques codes du giallo sans en être véritablement un. Il s'agit plutôt d'un curieux mélange des genres qui a dû en dérouter plus d'un avec son parti-pris expérimental où certaines doctrines freudiennes et ésotériques sont intelligemment disséminées tout au long du métrage. En ce sens, Le Orme est un pur bijou remarquablement bien écrit et où la dépression se voit développée par ses auteurs avec autant de pertinence que d'onirisme.
Alice, une jeune traductrice, est houspillée par sa supérieure hiérarchique pour avoir trois jours de retard sur son travail. Ne comprenant absolument rien à cette situation, elle s'aperçoit tant bien que mal que ces trois journées sont effectivement marquées par une forme d'amnésie déroutante. À l'aide de quelques indices retrouvés chez elle, Alice s'envole pour la Turquie qui semble avoir un précieux rapport avec sa perte de mémoire. Là, elle y rencontre une étrange fillette qui va la conduire dans les dédales de sa propre quête existentielle...
Avec son scénario à tiroir et ses étranges personnages, Le Orme est une simple relecture d'Alice Au Pays Des Merveilles qui peut échapper, de prime abord, à toute rationalisation quant à sa structure narrative. De par sa non-linéarité, l'intrigue peut ainsi perdre le spectateur lambda qui n'a que faire du mouvement philosophique existentialiste. En revanche, en se plongeant corps et âme dans l'aventure, cette dernière devient inévitablement extraordinaire et sacrément passionnante.
Ici, les figures habituellement imposées aux thrillers se voient littéralement morcelées, voire réinventées. À la recherche des fragments de sa mémoire, Alice (génialement incarnée par l'iconique Florinda Bolkan) sombre peu à peu dans une forme de paranoïa aiguë où s'entremêlent complots scientifiques, manipulations, harcèlements et dédoublements de personnalité, le tout confiné dans une spirale infernale de perdition psychologique. Et les auteurs maîtrisent parfaitement leur sujet tout en le saupoudrant du terrifiant "merveilleux" lié au giallo. Le climat y est ainsi lourd de secrets cauchemardesques qui semblent, toujours au premier abord, définir la clef du mystère. Avec cette étrange fillette (Nicoletta Elmi, toujours aussi flippante avec son habituelle attitude mi-ange mi-démon) qui endosse symboliquement le rôle du fameux lapin blanc qu'Alice ne peut que suivre à travers sa quête et qui s'en donne à cœur joie pour ourdir ses secrets.
Comme pour toute dépression, les racines de la maladie se nichent dans le passé, souvent enfouies, voire refoulées, et Le Orme prend considérablement en compte l'aspect thérapeutique pour mener ses spectateurs à une finalité déstabilisante. Une œuvre aux contours perpétuellement fragiles où les expérimentions photographiques sont bercées par une sublime et envoûtante partition de Nicola Piovani. Et hormis Florinda et la petite Nicoletta, le casting se compose d'excellents habitués du genre tels que Klaus Kinski, Ida Galli, Lila Kedrova ou encore Rosita Torosh, malheureuse victime durement violentée dans L'Oiseau Au Plumage De Cristal d'Argento. Que du bonheur ^^