« Je lui ferais un offre qu'il ne pourra refuser. » , phrase mythique sortie de la voix rauque du Parrain Vito Corleone : commencement d'un long récit retraçant l'histoire entière de la famille italienne Corleone et avec elle la genèse de toute un époque. Francis Ford Coppola réalise là LE film de mafia ultime, fidèlement inspiré du livre homonyme de Mario Puzo, qu'il choisira de décliner en 3 parties et ce, sur presque 20 ans, le premier opus étant sorti en 1972 et le dernier en 1991.
Le réalisateur décide donc de se détacher des autres films de mafia en misant sur le réalisme et sur l'importance de son atmosphère et de ses personnages, à tel point que la saga a à peine vieilli, n'ayant rien perdu de son ambiance et de son charme si particulier. Le réalisateur présente la famille sicilienne Corleone de façon très crédible, Le Parrain étant présenté de manière très différente des habituels chefs mafieux qu'ont souvent offert le cinéma de genre, plus exubérants et violents, que ce parrain là plus calme et réfléchit. La retranscription des uses et coutumes propres aux origines italiennes de la famille étant aussi reproduites à merveille.
La trilogie du Parrain est celle qui a vu naître l'éclosion d'un tas de jeunes acteurs, devenus depuis des stars, tels que : Robert Duval, Andy Garcia, Robert de Niro et Al Pacino. Tous montrent là l'étendue de leurs talents. Mais comment ne pas s'arrêter sur la prestation dantesque d' Al Pacino, il incarne parfaitement, à travers toute son ambiguïté, ses doutes, ses souffrances et ses remords le rôle du Parrain, la prestation est hors norme. La performance de De Niro, incarnant de manière stupéfiante Vito Corleone jeune, est aussi à souligner et lui vaudra d'ailleurs l'Oscar du meilleur second rôle, sans oublier le jeune et séduisant Andy Garcia qui assure avec brio la relève d'un Parrain las et fatigué. Si le film fait principalement exploser Pacino, il offre surtout le rôle de sa vie à Marlon Brando, hallucinant de charisme et de présence en vieux Parrain à la voix grave et faible, il rend intense toutes les scènes ou il apparaît, bénéficiant d'un charisme sans pareil, le rôle est incommensurable et fera entrer le personnage dans le panthéon du cinéma.
Paradoxalement la trilogie a beau durer près de neuf heures, elle est fascinante de bout en bout et captivante à chaque moment, les meurtres froids, les réunions mafieuses, les conversations familiales et les crimes organisés se succédant avec une classe et un sens de la transition irréprochable.
L'intrigue est aussi prétexte à de nombreux voyages permettant au film de varier ses décors, on passe ainsi de New York à Las Vegas en passant par Cuba et Los Angeles, sans oublier la Sicile provençale, tout ça agrémenté de la sublime musique de Nino Rota qui confère au film un cachet classique tout italien.
Coppola façonne l'évolution de ses personnages en exposant le contraste de leur avidité au pouvoir, entre ascension et déclin. Ainsi la vie du jeune Vito Corleone nous ait contée en parallèle avec celle de son fils Michael, pour mieux souligner l'héritage obscur laissé par le patriarche.Elle permet ainsi de mieux constater la flagrante évolution du personnage de Michael Corleone, dont la vie est traversée par le spectre inéluctable de sa propre destinée, et ce dès sa mise au monde, malgré ses tentatives d'y échapper. Coppola évoque ici la fatalité du sang et son aspect déterministe, peut on échapper à son destin ? L'uvre ne laisse guère de place au doute.
Coppola traite aussi un puissant thème , celui du pouvoir, il est l'essence même des motivations de chacun des personnages, tous protégeant leurs intérêts de façon paranoïaque avec une méfiance absolue de tout et de tout le monde. Avec le thème du pouvoir, celui de la famille occupe aussi une place très importante dans le récit, que ça soit tout au long de l'intrigue, ou au sein même des raisons qui poussent les différents personnages à vouloir y voir grandir leur place. Car si le destin est joué d'avance, il ne l'est pas forcément pour tout le monde et peut attirer les convoitises.
Le cinéaste ne se contente pas de raconter l'histoire de cette famille mafieuse, il dépeint aussi, et ce sur un siècle entier, l'histoire même de la ville de New-York, de son immigration italienne à l'avènement de Little Italy, en passant par la naissance du système mafieux et l'apparition du capitalisme.
A travers l'histoire New-yorkaise l'évolution de la mafia est aussi retranscrite de manière directe et explicite grâce aux différentes réunions de chefs mafieux qui, au fil des années, modifient les méthodes d'investissements. Ainsi on passe des petits commerces à la vente d'armes, puis le marché de la drogue vient pénétrer les rues, les casinos et les établissements de jeux deviennent à la mode à leur tour, en finissant par l'éclosion des investissements via les marchés financiers, c'est toute la mutation du système mafieux qui nous est exposée ici.
Le cinéaste américain gère donc l'ensemble de ces thèmes avec une maestria sans pareille, à travers l'évolution chaotique de la famille Corleone il parvient à façonner une gigantesque fresque surréaliste et moderne qui constitue la retranscription ultime d'un pan de l'histoire Américaine, tout ceci appuyé par une galerie d'acteurs sans équivalent et un don de la mise en scène exceptionnel. La trilogie du parrain se place, grâce à sa puissante histoire, son ambiance et son contexte, dans ce que le cinéma a pu réussir de mieux, et ce depuis sa création. Coppola nous gratifie de la plus belle des leçons de cinéma.