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Le Parrain, avant d'être un film, c'est d'abord le roman de Mario Puzo. Un roman puissant, épique et qui respire l'authenticité à chaque ligne. En quelque sorte, c'est le manuel explicatif du premier opus et en partie du deuxième. On peut s'y référer pour obtenir des compléments d'explication sur tel ou tel personnage ou tel ou tel rite.

Une grande partie du roman sera scénarisée par Mario Puzo dans un premier film, le Parrain, objet de cette critique. Mais la partie du roman relative à la jeunesse de Vito Corleone, essentielle pour comprendre la construction et l'évolution du personnage, sera traitée, toujours par l'auteur dans le Parrain 2. L'importance du roman et de la participation de l'auteur au scénario des trois opus de Coppola se traduit par la très grande cohérence des personnages qu'on voit évoluer dans les trois films.

Mais revenons à ce premier film où le spectateur est invité à observer l'intérieur d'une famille sicilienne implantée à New York dans les années 50. Rare faveur (pour un non sicilien) que nous accorde le cinéaste…

En effet, la mise en scène du personnage de Kay Adams, fiancée américaine de Michael, fils du Don mais héros de la guerre, permet de poser son regard étonné et curieux sur ce monde sicilien étrange. À la fois exubérant et respectueux d'un véritable code de conduite. Lors de la fête du mariage, les yeux de Kay (la caméra) se focalisent sur ce qu'il faut voir, la fête, le soleil, le bonheur, les chansons lestes et endiablées (où les mamas habituellement très réservées se déchainent) ou follement romantiques, le décor et le luxe. Y compris, aussi, sur des personnages énigmatiques comme Luca Brasi. Dans le même temps, il y a l'envers du décor qui est autrement fascinant. Le chef de famille tient salon dans un appartement silencieux, cossu, plein d'ombres. Il reçoit des hommages discrets ou respectueux. Il rend service à ses amis. Parfois, il se fait prier un peu comme pour ce sicilien qui ose lui demander de tuer les agresseurs de sa fille. Le chef de famille s'offusque (savoureusement) : "comment ? Un homme qui ne m'a pas fait l'honneur de son amitié me demander une telle infamie ? Mais nous ne sommes pas des tueurs"

Dans le même temps, il y a bien quelques petits accrocs à cette atmosphère raffinée et si sereine où on aperçoit les vigiles démolissant les appareils photo de journalistes ou de gens trop curieux. Où on voit la police relever toutes les plaques d'immatriculation laissant entrevoir un aspect sulfureux de cette famille.

Ce début de film est juste génial (il a d'ailleurs souvent été imité). Il emporte obligatoirement l'adhésion du spectateur, maintenant bien conditionné à avaler la suite. D'abord, il se rend compte qu'il est favorisé puisqu'il a pu voir ce que beaucoup ne peuvent pas voir, en particulier les journalistes et la police. Et ce qui était en marge de la fête, est plutôt sympa. Ce vieil homme respectable, respecté et puissant qui rend service à ses amis. On comprend bien qu'en échange de son amitié et de sa protection, le chef de la famiglia, le padrino, soit en droit d'attendre un éventuel retour d'ascenseur.

Ce début de film pose clairement sur la table les règles de fonctionnement d'un système mafieux où la main de fer est enveloppée d'un gant de velours. Je devrais même dire un système mafieux moral et bien-pensant (*). En effet, les actions menées sont des actions de protection de la famille. En cela, tout se passe comme si ces actions ont un caractère sacré, vital et "globalement approuvé" par Dieu. Enfin, le roman est plus explicite sur ces sujets que le film. L'homme est amené à tuer (pour les raisons ci-dessus) et admet, en bon catholique, que l'acte est contraire aux dix commandements. Mais la femme par sa présence assidue à l'Église et par ses incessantes prières (à la Madone), rattrape (disculpe, justifie) l'acte normalement interdit. Et c'est probablement ce qui me fascine le plus dans ce film (comme les suivants) : l'imbrication très forte de la religion, la morale et le crime. Ainsi il en va de la scène très forte, d'anthologie, où Michael Corleone répond aux exigences solennelles du curé dans son rôle de parrain du baptême de son neveu, chacune de ses réponses affirmatives étant ponctuée par un assassinat dans le même temps. Il y a d'une part le nettoyage d'une âme et d'autre part, l'élagage des branches pourries. C'est que supprimer une branche pourrie permet de sauver l'arbre. C'est bien parce qu'on fait l'effort de supprimer les branches pourries et ainsi de sauver l'arbre que l'opération de protection de la famille devient, donc, tout-à-fait morale.

La violence du monde qui entoure la famille Corleone est permanente. Elle se traduit par des réactions de mépris total (qu'on pourrait presque dire racistes …) du producteur Wolz de Los Angeles ou du directeur de casino, Moe Green, de Las Vegas "ces saloperies de ritals, ces putains de macaronis". Là encore, Coppola (Puzo) prend le spectateur à témoin et le fait adhérer, à son insu, à cette lutte permanente pour la survie (de l'espèce sicilienne).

Bien sûr, il est très facile de reprendre tous les arguments que j'ai développés et leur trouver un côté inacceptable voire malsain et politiquement tout-à-fait problématique. Mais ça, c'est bien après avoir vu le film. Ou encore à l'occasion d'un autre visionnage. Qui permet d'intéressantes mises en perspectives des personnages.

Le casting est sans aucun doute un élément très fort de ce film pour interpréter des personnages inoubliables. À commencer par Marlon Brando dans le rôle du vieux Don qui a construit un empire (qui fonctionne) mais qui n'a plus le mordant pour tenir ses positions face aux jeunes loups.

Al Pacino, dans le rôle du fils cadet dont on sent la montée en puissance. James Caan dans le rôle du fils ainé.

Robert Duvall dans le rôle du consigliere qui lui va comme un gant. La force tranquille. Diane Keaton dans le rôle de Kay est époustouflante dans son personnage moderne et non sicilien.

Et on peut rajouter John Cazale, Sterling Hayden dans un rôle court mais confondant,

Sans oublier, cette actrice italienne qui joue le rôle d'Apollonia, Simonetta Stefanielli que je trouve toujours ravissante et pleine d'innocence dans ce monde cruel…

Au final, on aura compris que c'est un film que j'aime beaucoup. Qui résiste toujours aux nombreux visionnages que j'ai pu faire. À la fois fascinant et terrifiant. Inoubliable. Savoureux, j'oserais dire, comme le fruit défendu.

Dont je recommande la lecture du roman de Mario Puzo qui détaille et approfondit bien des choses du fonctionnement de ce monde mafieux que parfois on ne fait qu'entrevoir dans le film.

À bientôt pour le deuxième opus …

(*) pour m'éviter d'avoir à répondre à une question inutile, j'emploie le terme bien-pensant au sens du dictionnaire "personne dont les convictions sont jugées conservatrices" et non au sens éminemment variable actuel.


JeanG55
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le 7 oct. 2023

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JeanG55

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