Wolfwalkers est le troisième conte d’une trilogie sur la mystique irlandaise (après The secret of Kells et Song of the sea). Pour autant il se regarde très bien indépendamment des deux premiers. La richesse de la tradition est portée par un scénario efficace, qui transporte le spectateur dans une quête, voir un combat, écologique.
Le coup de crayon, visible, abrupte et courbé, retranscrit un message fort. L’animé nous présente le merveilleux, le sauvage et le coloré de la nature, là où la ville souffre du danger, du linéaire, de la géométrie. La ville est grise, limitée par ses rempares. Les bois sont infinis, abreuvant l’imagination. La première moitié du film nous montre comment cette nature appartient à la tradition irlandaise, à l’oralité de ses paysans attendrissants. On découvre alors que, résister pour protéger sa nature, est un combat du XVIIème siècle qui résonne toujours de plus en plus fort au XXIème. La ville, elle, appartient à la civilisation anglaise et ses soldats, à ceux qui font la sourde oreille à la sagesse des peuples qu’ils envahissent. D’un côté, l’impérialisme bien connu du royaume d’Angleterre bouleverse la ville tranquille de Kilkenny, d’un autre le loup rôde.
Les couleurs automnales épousent l’esprit sauvage de cette Irlande oppressée. Mais la superbe idée du film, inspirée de la légende, réside dans sa deuxième partie, lorsque est introduit la lycanthropie spirituelle. La petite fille devient louve, par le sommeil, et libère l’esprit de son corps. C’est ainsi qu’elle arrive à se connecter à cette nature, et à se défendre des siens, ne sachant plus lequel des deux est le plus hostile. Par cet état de stase, elle obtient toutes les qualités extraordinaires du loup, dont la vision olfactive fait partie des plus belles retranscriptions dessinées. Le loup-garou gaélique n’est donc pas une malédiction, mais un pouvoir ; il est chamanique. Le sommeil permet à la petite Robyn d’aider la sauvageonne Mebh – prononcé Mève – à sauver sa Mère-louve, protectrice et gardienne des bois de Kilkenny. Se développe ainsi la belle idée d’une sororité lupine, plus forte que toute autorité masculine. Là où les civilisés ont peur, Robyn résiste. Enfant le jour, louve la nuit, son but est de retrouver l’harmonie entre les hommes et les loups, celle-ci considérée comme sorcellerie par le Messire Protecteur. Ce personnage est le puissant guerrier inquisiteur qui déclare la guerre aux païens. Si le Seigneur est berger – ce sont les mots du Messire Protecteur lui-même –, le loup est son premier danger, donc un démon. Pour lui, le combat de la nature, pour la nature, est sorcellerie. Ainsi il se sert de ce prétexte autoritaire pour entamer l’extinction d’une espèce et la destruction d’une forêt. Pour les païens de Kilkenny, le civilisé a commis la première trahison. Il a décidé, en abusant de sa capacité au raisonnement, de se placer au-dessus du vivant. Une erreur qui lui attirera les foudres lupines.
Robyn doit alors céder à son dessein existentiel, et s’élever face à la voix paternelle. Elle se dresse en réalité face à tout un patriarcat, visiblement déjà bien en place. Elle abandonne la raison et suit son intuition. Son père, longtemps prisonnier de ses frustrations et ses croyances cartésiennes devra, s’il veut retrouver sa fille, s’abandonner lui aussi à une connexion avec cette nature. Les réalisateurs Tomm Moore et Ross Stewart, nous rappellent que l’intuition et l’harmonie avec les éléments ne sont pas non plus une affaire de féminité matriarcale. Ils dépendent du loup en chacun de nous. Les esprits, grands ou petits, habitent le vivant, et il ne suffit que d’un peu d’écoute, de gratitude et de bienveillance, pour s’en apercevoir. Les guerres des Hommes ont fait des ravages sur la nature, la sagesse des loups nous en sauvera peut-être.
Le scénario est tenu efficacement par de belles idées de mise en scène, et une économie d’effet de grandeur. La volonté de laisser visible le trait du dessinateur nous rappelle qu’il s’agit d’un conte. Le but n’étant pas de faire plus vrai que vrai, plus grand que grand, plus 3D que 3D, mais de chercher la poésie entre les lignes. Le jeu sur la perspective et la profondeur des décors rythme les images, et en font de véritables tableaux en soi. La forme est simple pour un public jeune, mais suffisamment juste pour plaire à n’importe quel âge. Le film est donc fidèle à la légende ; magie, joie et foi, se mêle dans une beauté celtique humble. Touchant et juste, Wolfwalkers est un film à montrer, au plus vite, à tous les enfants et tous les adultes !