A la vision de ce film on est aisément emporté par l'incroyable maîtrise technique et la modernité de sa réalisation. Splendides plans de nuit, travellings extraordinaires à la grue, et un esthétisme de grande qualité.
De retour d'un exil forcé à Hollywood, où il réalisa quelques films d'un bel apanage, le réalisateur d'origine allemande Max Ophüls, adapte trois nouvelles de Guy De Maupassant : Le Masque, La Maison Tellier et Le Modèle. A sa façon il met en scène plusieurs variantes du désir, de la joie de vivre mais aussi des illusions perdues et de la mort.
Le script est souvent prétexte à quelques grandes envolées aux accents baroques qui touchent au suprême dans un maniérisme succulent et une utilisation très sophistiquée de la caméra. Il filme comme on filmait à Hollywood dans le cinéma d'après-guerre, à la manière d'un Ernst Lubitsch ou d'un Leo McCarey, alliant enchaînements dynamiques des scènes et esthétisme raffiné.
Le premier sketch est une variation sur les illusions perdues et la chute des corps. Court, à peine un quart d'heure il marque par l'intrusion de cet être masqué qui semble perdu dans ses rêves de passé révolu sous les apanages d'un Arlequin dégringolant sur une pente vertigineuse.
Le second, le plus important, présente une évocation joyeuse du champs des possibles dans les plus improbables rencontres. Jean Gabin, pas encore grisonnant, y est gai et virevoltant au milieu d'une nuée de femmes, dont quelques filles de joie qu'il ne cesse de remercier jusqu'à en devenir grivois.
Le dernier segment, le plus sombre, présente avec un pessimisme et une implacable dureté les rapports d'un peintre et son modèle, qu'il épouse puis rejette jusqu'à ce que la belle commette un acte irréparable. L'artiste prisonnier de son œuvre qui devient séducteur, bourreau puis esclave de sa création. Tout ça filmé avec une grande maestria, dont un plan final sur une plage d'un fort joli apanage.
Restituant parfaitement l'ambiance d'une époque révolue en imposant un esthétisme de tout premier ordre et une énergie débordante de tous les instants à sa mise en scène Opüls parvient à déclencher l'admiration et l'enchantement. Beauté et virtuosité, tels sont les qualificatifs qui conviennent le mieux à cette œuvre d'une grande exigence dont l'esthétisme prend le pas sur la narration et en constitue le thème central et fédérateur.