Encore une histoire de titre ? Non, là c'est pire …C'est que le film tourné par Sam Fuller relate une histoire d'espionnage où des agents soviétiques essaient de récupérer et sortir des USA un microfilm pour l'expédier en URSS. Mais le distributeur français craignant une réaction du public français (craintes fondées de boycott de la part du PCF comme cela s'était déjà produit) a légèrement modifié le scénario pour transformer le secret militaire du microfilm en une formule secrète chimique d'une drogue à l'usage de trafiquants…
Soixante dix ans plus tard, ces débats étant largement périmés, c'est amusant de comparer sur le DVD les versions VO et VF. De plus, le bonus se prête à la comparaison des quelques scènes litigieuses qu'on ne regarde plus qu'avec le sourire…
En définitive, cela ne change pas vraiment le fond du film et la belle histoire de trois personnages marginaux que Samuel Fuller nous invite à découvrir et à suivre. L'objet du vol par le pickpocket entraine des réactions qui relèvent d'un certain code de conduite morale de la part des trois personnages. Alors que cela soit dicté par le patriotisme (si c'est un document militaire) ou par une aversion contre le trafic de drogue (si VF), à la fin cela devient bien un peu secondaire.
Richard Widmark joue le rôle d'un pickpocket qui sort de taule et qui habite dans une étrange maison sur pilotis. Malin comme un singe, il respire vite les bons coups et sait faire monter les enchères. Impertinent et roublard avec les flics, son sourire d'ange qui se transforme en ricanement fait merveille. C'est aussi un grand enfant qui s'amuse encore d'une rupture de filature réussie. Et pourtant, derrière son féroce cynisme, on finit par percevoir autre chose de plus intrigant.
Spoiler : Ainsi, c'est lui, dans une scène courte, incisive mais magnifique qui détournera le cadavre de Moe pour lui organiser un véritablement enterrement et non la fosse commune comme c'était son rêve.
Thelma Ritter joue justement le rôle d'un personnage, Moe, a priori très trouble et très ambigu dont on comprendra qu'elle a aussi un code moral qui lui interdit de faire certaines choses. Telle la scène où elle refuse de divulguer une info dont elle a bien compris qu'elle risque sa vie est admirable et pleine d'émotion. Là, on ne joue plus et ce n'est plus une question d'argent.
Reste le personnage de Candy jouée par une somptueuse Jean Peters dont Fuller nous croque plusieurs beaux portraits même si elle doit (vraiment) souffrir pour conserver toute sa dignité et gagner la considération de Skip. Même si les choses sont loin d'être simples pour Candy qui doit jouer l'équilibriste entre plusieurs personnages antagonistes et dangereux. Avec un instinct primaire qui lui dicte sa conduite.
Je préfère un pickpocket vivant et un espion (ou trafiquant dans la VF) mort.
Spoiler : La scène où son visage tuméfié est caressé respectueusement (amoureusement ?) par Widmark est très belle car symbolique d'une victoire personnelle.
En définitive, Samuel Fuller nous croque trois portraits sans concession de marginaux dont les règles relèvent d'un code de l'honneur et d'une solidarité dans un milieu qui reste très violent. En effet, les relations entre ces trois personnages sont assez rugueuses.
S'il peut être admissible qu'on puisse "aider" la police pour quelques dollars car la police a aussi des règles "claires" et qu'on peut en attendre un retour d'ascenseur, en revanche, il est inadmissible (ou non correct) de dénoncer à des malfaisants (inconnus) qui n'ont pas de règles et qui peuvent s'avérer très nuisibles. C'est dans ce contexte que la solidarité s'exerce.
Ce film est un concentré en 80 minutes de scènes, de situations et de personnages bien sombres. Ces 80 minutes ne font pas bouger les lignes : les uns et les autres restent sur leur position ou dans leur situation. C'est juste leur dignité ou leur noblesse qui s'en trouve confortée.
Au final, très beau film noir puissant et passionnant.