[Je précise, tout d'abord, que j'ai visionné la director's cut, c'est-à-dire la version originale italienne ; et non pas la version française, charcutée de vingt minutes, parce qu'Alain Delon, acteur principal, mais aussi co-producteur de l'ensemble, en avait décidé ainsi, à la grande colère du réalisateur, Valerio Zurlini. En conséquence, je ne ferai aucune mention d'éventuels manques dommageables dans l'intrigue.]

La prima notte di quiete (ouais, je trouve le titre français très réducteur, ne reflétant pas l'atmosphère globale du film... le fait que le protagoniste soit professeur n'est qu'un aspect d'importance secondaire !) est une de ses œuvres cinématographiques qui traînaient depuis des lustres dans mon interminable liste de PAV (Pile à voir !). Zurlini était un monsieur d'un talent indéniable, mais tout le temps synonyme de "déprimant" (c'est une constatation, pas un reproche !). Ce qui fait que j'avais envie de voir son pénultième long-métrage, tout en le repoussant pour ne pas être déprimé. Le décès d'Alain Delon était, pour moi, le moment ou jamais de sauter le pas.

Alors, j'avoue que je n'ai jamais apprécié ce dernier en tant que personnalité. Reste qu'il est indéniable que, premièrement, pour ce qui était d'avoir été gâté par la nature, ce serait un euphémisme d'écrire qu'il avait trouvé les cinq bons numéros plus le numéro chance (avec une bonne dose de "mauvais garçon" à l'allure féline, pour achever de bien faire mouiller !), que, deuxièmement, il avait un magnétisme démentiel, et que, troisièmement, pendant toute la décennie 1960 et la première moitié de la suivante (pour être plus exact, jusqu'en 1976, avec Monsieur Klein !), il a eu une carrière incroyablement prestigieuse, certainement commercialement, mais surtout artistiquement, aux côtés des plus grands, qu'ils soient devant ou derrière la caméra. En conséquence, on ne peut pas lui dénier le statut de monstre sacré du cinéma.


La prima notte di quiete fait partie de cet âge d'or de l'acteur. Celui-ci surprend dans le contre-emploi d'un être incapable de bonheur, déprimé, mal rasé, se séparant rarement de son imperméable, paraissant s'en foutre de tout, portant la vie comme une contrainte, évoluant dans une faune de notables minables, qui trouvent des dérivatifs dans le sexe (pas toujours consenti... ce qui est, plus ou moins, suggéré est bien sordide !), dans le jeu et dans l'alcool, pour tromper leur ennui, la médiocrité de leur quotidien et de leur moi profond. Pourtant, des éclairs d'humanité et des éclairs de bienveillance peuvent surgir, même au milieu de la pire des crasses. En tout cela, le film évite inutilement de trop charger la mule et se montre juste (pas d'éclats mélodramatiques, juste une réalité bien terne !), en étant plus fréquemment dans le gris, parfois très foncé, que dans le noir.


À propos de gris, cela me permet de faire la transition sur une belle photographie, à travers laquelle règnent, sans partage, les teintes hivernales (bien servies par la ville portuaire brumeuse de Rimini, où se déroule notre histoire !), collant parfaitement avec la morosité ambiante (y compris au cours d'une saisissante séquence dans une boîte de nuit, offrant une superbe maîtrise du clair-obscur, lors de laquelle les futurs amants se projettent l'un dans l'autre, à distance, en échangeant un regard !). Aussi bien sur la forme que sur le fond, tout est bien fait pour qu'on ait envie de se pendre.


Heureusement qu'il y a quelques éclairs de chaleur, notamment par le biais d'une amitié sincère (avec le caractère joué par Giancarlo Giannini !) et, surtout, par celui de la réciprocité amoureuse de deux âmes meurtries (incarnées par Delon, bien sûr, et par la sublime Sonia Petrovna, l'un et l'autre parvenant, avec maestria, à faire ressentir les blessures intérieures, du passé et du présent, de leur personnage !). Cette romance donne lieu à une touchante étreinte charnelle, la seule de tout le film à être guidée par des sentiments nobles, sans la moindre contrainte (seventies oblige, le tout ne s'embarrasse pas de questionnements moraux sur le sujet de la liaison entre un prof et une de ses élèves. Bon, après, elle a vingt piges... ce qui fait relativiser cet aspect des choses !).


La tristesse durera toujours (ouais, pas de doute, on est bien chez Zurlini !). Ce qui n'empêche pas, parmi toute cette saloperie, un peu de beauté. La prima notte di quiete ne fait pas partie des œuvres les plus célèbres de la filmographie d'Alain Delon. Cependant, non seulement, elle a tout à fait sa place dans la période du sommet de la star, par sa qualité intrinsèque, mais aussi, par la révélation que le comédien pouvait être à l'aise dans la vulnérabilité. Dommage qu'il ne se soit pas risqué plus souvent dans ce registre. Néanmoins, on peut se consoler avec ce rare témoignage de cette facette de son talent.

Plume231
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le 19 août 2024

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