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Sans trop en dévoiler sur son intrigue, Le Règne Animal est un miracle. Une synthèse parfaite entre des influences fantastiques diverses, réintégrées dans un récit purement original, avec un ton qui lui est propre. Car si on retrouve du Steven Spielberg pour ce fantastique à hauteur d’enfant, du Stephen King dans la description d’une famille crédible, du M. Night Shyamalan pour le mystère et l’approche réaliste du fantastique, du David Cronenberg période mutations et body horror, du Hayao Miyazaki dans ce mélange d’émerveillement et de peur, voire même du Bong Joon-ho dans les ruptures de tons, ce qui frappe devant le film, c’est qu’il n’est jamais dans la citation ou dans la révérence. Il trace un chemin qui lui est propre, empruntant un peu partout en fonction de ce qu’il veut raconter.
Car contrairement aux autres projets portés par le CNC, le film voit bien le genre comme une première fin en soi, ce qui n’exclut pas le fait qu’il traite une variété d’autres problématiques sociales et politiques par ricochet. Comme le disait le critique Raki Djoumi « On aime Gremlins (Joe Dante, 1984) parce que c’est une critique des Etats-Unis et de la société de consommation, mais on aime surtout Gremlins parce qu’il y a des Gremlins ».
On sent ici l’envie de créer des monstres, et de les exploiter totalement dans un geste qui englobe le fantastique et l’histoire de ce père et ce fils en un seul mouvement ample et organique. Le monde du Règne Animal suit une logique qui lui est propre, une identité remarquable qui n’est pas calquée sur ce que font les Américains, par exemple. Thomas Cailley mobilise toute une batterie de savoir-faire techniques (effets numériques, maquillages, animatroniques), mais travaille aussi sur la musculature de ses acteurs, Paul Kircher et Tom Mercier en tête, dont le jeu animal et en constante mutation force le respect…
La grammaire cinématographique de base (montage, découpage, filmage) n’est pas en reste. Jamais les « Bestioles » ne sont cachées par manque de moyens, mais le film opère un jeu passionnant dans sa première partie pour les soustraire à notre regard via sa mise en scène, et mieux les dévoiler plus tard. Et le film enchaine les moments de bravoure fascinants : le supermarché, les échasses, le premier vol…
Le Règne Animal est le spectacle grand public et généreux que l’on attendait. C’est un film de monstre et de mutations porté par un amour de ces bestioles, et une envie de créer des images de cinéma, de transformer la forêt gasconne en un territoire luxuriant et vierge, un de ces terrains sur lesquels s’écrivent les contes et les légendes. C’est un drame familial touchant incarné et écrit à la perfection, une chronique adolescente sur le changement des corps et du monde autour de soi. C’est une réflexion sur la façon dont on perçoit l’Autre, et dont on accepte la différence, ou encore sur comment le regard peut conditionner la perception d’une partie de la population, jusqu’à la guerre… C’est un film qui plaira à ceux qui n’aiment pas le genre, et qui fera découvrir un nouveau type de cinéma français à ceux qui ne regardent que ça… Bref, c’est un film à la portée fédératrice et qui a les moyens de ses ambitions comme on en voit peu sur nos écrans.
Et pour conclure, allez voir du cinéma français, allez le voir en salle, parce que c’est l’une des productions les plus dynamiques, diversifiées et passionnantes en ce moment. Petit échantillon de cette seule année 2023 : Anatomie d’une chute, Chien de la casse, Yannick, Le Procès Goldman, Youssef Salem a du succès, Goutte d’or, La Montagne, Nos Cérémonies, Farang, Le Livre des Solutions, Les Rascals…
Et plein d’autres que je n’ai pas encore vus.