Le dernier film de Thomas Cailley est une réussite totale. Il s’agit d’une tentative parfaitement accomplie sur le fond comme sur la forme qui détonne dans le paysage du cinéma français, peu coutumier des films de sciences fiction et qui offre une réflexion intéressante sur la place de l’homme.
Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d'un nouveau genre, il embarque Émile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.
Le film dépote car le cinéaste Thomas Cailley ose un genre peu fréquent dans le cinéma français et qui serait plus l’apanage du cinéma américain : le survival movie. C’est-à-dire, le film de survie où l’homme est confronté à des dangers menaçant son existence et sa survie sur Terre. Cailley semble d’ailleurs emprunter plusieurs scènes au cinéma américain, par exemple les scènes de poursuite dans les champs de maïs que l’on a beaucoup vues dans les films hollywoodiens. La réussite de Cailley est d’avoir réalisé un film terriblement français par le peu d’effets qu’il utilise (si ce n’est ceux de sa mise en scène). Mais si le film est si peu américain, c’est parce que Cailley détourne les codes du survival movie pour aller vers autre chose. Il n’est plus tellement question pour les humains de reprendre le contrôle mais davantage, de s’adapter à ces nouvelles évolutions.
Thomas Cailley semble vouloir remettre en cause l’hégémonie des hommes sur les espèces animales et sur la nature. On peut bien sûr discuter cette hypothèse, mais Thomas Cailley l’émet sans idéologie. Si l’homme est plus évolué à beaucoup d’égards que les animaux, il n’est plus grand-chose quand une épidémie, une menace le dépasse. Cette mutation est-elle d’ailleurs si mauvaise que ça pour l’homme ? Bien sûr, pour ces mutants, l’avenir est à ceux qui savent s’habituer à leur nouvelle constitution.
A l’image des mutants du film, le film est lui-même hybride. Nous l’avons vu, le genre est américain mais le film terriblement français. Il s’agit d’un film de science-fiction mais Cailley réussit à le rendre terriblement réaliste. Car cette épidémie de mutation n’est pas sans échos à l’épidémie de covid-19 avec ces malades que l’on isole, le sentiment de méfiance qui a pu naître entre les uns et les autres. Et puis, le cinéaste français a la bonne idée d’ajouter à son film un coming of age movie (genre qui est à la fois une spécialité américaine et française, on y revient). On suit l’évolution (dans tous les sens du terme) du jeune Emile pendant le film, renforçant ainsi notre implication.
L’autre force du film, ce sont indéniablement les acteurs. Romain Duris laisse tomber la séduction habituelle qu’il y a dans son jeu, ce qui en fait souvent le charme mais qui peut agacer parfois. Il est à la fois ce père-courage et cet homme obstiné qui cherche désespérément sa femme. Mais il faut dire qu’il est balayé par Paul Kircher qui est absolument prodigieux de bout en bout. On l’avait découvert excellent dans un mauvais film de Christophe Honoré (‘Le lycéen’). Il est encore meilleur ici mais cette fois dans un grand film. Il a une présence indéniable dû à son aspect très juvénile.
Formellement, le film est totalement accompli. La photographie est très belle, les paysages somptueux. Cailley se révèle être un très bon filmeur de scène d’action. Le filmage caméra à l’épaule, souvent abusivement utilisé, l’est ici à bon escient. ‘Le règne animal’ est incontestablement un film marquant de l’année 2023.