Si dans le domaine de la science-fiction le cinéma français tient encore une place timide ou sert de bombe à retardement dans la carrière de certains cinéastes (notamment en s'essayant aux Etats-Unis), l'animation reste bien souvent l'alternative la plus intéressante afin de rendre possible la réalisation des plus folles obsessions des créatifs. Plusieurs questions peuvent alors se poser :
- Le genre est-il trop ambitieux ?
- Le cinéma français n'arrive-t-il pas à trouver les bonnes personnes afin de mener à bien ces projets ?
- Les budgets accordés aux films sont-ils suffisants…
Tant d'interrogations que Le Règne animal prend de plein fouet et dément les unes après les autres.
En jonglant dès sa séquence d'ouverture entre le film catastrophe et le film d'horreur, il n'est pas question pour Thomas Cailley et Pauline Munier de s'ancrer dans une énième narration soporifique racontant les origines d'une mutation - qui ici transforme les humains en animaux - mais d'en faire une réalité tangible dans laquelle la population mondiale doit déjà vivre. S'il est peut-être regrettable que Cailley n'exploite pas le hors-champ afin de jouer davantage sur l'inquiétude apocalyptique de ses personnages et les comportements à part de ses créatures, sa dynamique audacieuse, généreuse et sous adrénaline ouvre les portes à un monde chaotique et vertigineux où chaque situation qui se voit révéler une nouvelle créature provoque l'étonnement, la peur ou la fascination même dans des endroits aussi banals qu'un supermarché, une arrière-cuisine d'un petit restaurant de vacances ou un embouteillage en plein centre-ville. Mais au milieu de ce quotidien grisâtre, c'est surtout avec l'image de la forêt que Le Règne animal tire ses meilleures séquences ; sans jamais vouloir la démonstration de force tout en tenant à la tenue visuelle de l'ensemble, l'exploration de ses recoins mystérieux, son insécurité tout comme sa proximité avec les êtres qui la peuplent font briller une direction artistique fantastique où les artistes VFX et maquilleurs dévoilent une palette de créativité d'une précision remarquable afin d'exploiter profondément les transformations corporelles - allant parfois chercher dans le body-horror.
Conte fantastique, drame intime et politique, récit de passage à l'âge adulte… Le Règne animal semble être tout à la fois ce qui peut le rendre confus dans son récit - notamment par sa trop grande galerie de personnages et ses va-et-vient incessants du personnage d'Emile (interprété par Paul Kircher) entre les créatures et sa vie quotidienne mise en désordre à cause de sa mutation - bien qu'à l'opposé ce dernier soulève des questions aussi précises qu'intéressantes comme l'exclusion et les conséquences d'appartenir à une contre-société. Annoncé dans son titre, ce "Règne" relève surtout d'une fracture interne de l'Homme devenu extrêmement cruel car incapable de savoir comment se comporter face à ce qu'il ne comprend pas et où à chaque tentative d'une potentielle coexistence répond en parallèle une montée du rejet et de la violence bien que son duo Romain Duris/Kircher ne manque pas de rappeler qu'à l'aube de ce nouveau monde, cet espoir de coexistence n'est peut-être pas impossible.
Si Le Règne animal peut avoir des regrets de croiser son ensemble avec de la maladresse, sa profusion d'idées, de savoir-faire et d'ambitions parviennent tout-de-même à assumer un pari atypique où l'audace offre des images encore trop rares dans le paysage du cinéma français.