Certes il y a cet horripilant Romain Duris sur l'affiche, certes la bande annonce n'est pas vraiment convaincante, mais ... Oh quel film !
Thomas Cailley nous décale dans une légère dystopie où des personnes sont atteintes d'une mutation qui les transforme peu à peu en animaux, oiseaux, mammifères ou reptiles, ...
Après quelques confinements et quelques mutations de pangolins ou de chauve-souris, reconnaissons qu'on ne fait pas trop les malins aujourd'hui devant ce genre de scénario.
Évidemment la cohabitation avec ces créatures, ces bestioles, n'est pas vraiment naturelle et notre humanité "bienveillante" se charge de parquer ces étrangers dans des centres, d'envoyer l'armée en chasse, et les meilleurs beaufs d'entre nous s'équiperont de T-shirts "no pasaran", de sifflets à ultrasons et de fusils.
Voilà un film français très ambitieux qui ne rate pas son objectif : nous questionner sur notre rapport à la nature en général et l'animal en particulier, ou tout simplement sur notre rapport à celles et ceux qui sont différents.
Qu'est-ce qui fait de nous des humains et pas des bêtes, des bestioles ?
Qu'est-ce qui fait que notre civilisation a perdu son rapport à la nature depuis que nous avons quitté le règne animal ?
Tout cela est très dérangeant et mettra beaucoup de monde mal à l'aise, à l'exemple de la bande son truffée de bruits étranges, de souffles, de reniflements, de cris, de froissements et bruissements.
Mais il faut se laisser emporter et manipuler par Thomas Cailley et ses acteurs (Romain Duris est tout à fait convaincant, j'avoue, une fois n'est pas coutume, et surtout le jeune Paul Kircher est extraordinaire), pour profiter de ce qui nous est offert dans ce film très "physique" : sur une très belle musique, on jubilera et trépignera à l'idée de courir à toute allure pieds nus dans les marais, de grimper agilement aux arbres, de hurler à la lune, d'écouter d'une oreille aiguisée le moindre de bruit de bête, de développer une force "animale", ... toutes choses désormais oubliées et interdites pour l'homme civilisé.
Avec un propos aussi casse-gueule, le film est heureusement parfaitement maîtrisé : les effets spéciaux des bestioles restent discrets (toute la première partie du film laisse au spectateur le temps de s'installer dans cet étrange quotidien presque ordinaire), l'équilibre des scènes est finement dosé et rien n'est laissé au hasard dans le scénario qui déroule une mécanique bien huilée.
Bien sûr, il y aura quelques spectateurs qui seront venus un peu à reculons, rechigneront à se laisser convaincre et resteront mal à l'aise tout du long (MAM fut de ceux-ci).
Bien sûr, il y aura quelques simplets qui se seront trompés de salle en croyant sans doute à une nouvelle version d'Alien et qui iront finir leur pop-corn dehors après quelques ricanements stupides durant les premières minutes.
Mais pour les autres, Le règne animal fera partie de ces très rares films que l'on va voir deux fois dans la même semaine.
Ceux-là auront choisi leur camp dès les premières scènes : ceux-là qui prendront parti, fait et cause pour les bestioles, à l'image de Romain Duris, ou plus modestement, à l'instar de la fliquette (Adèle Exarchopoulos) ceux-là qui sentiront intuitivement que quelque chose se passe, que quelque chose "passe".
Paradoxalement, ceux-là ressortiront de la salle avec la pêche, galvanisés à l'idée que notre "humanité" a peut-être bel et bien un avenir (un sentiment fort utile en ce moment).