... et moins humain en même temps. Mais c'est toute la réussite du film justement.

Très ravi d’être allé voir ce film dont vous avez dû entendre parler. De fait, L’encre a coulé, les voix se sont élevées, depuis qu’il fut dévoilé à Cannes en ouverture de la section « Un certain regard ». Globalement, tout le monde en a dit du bien, l’a saucé, jusqu’à le qualifier de « tournant dans l’histoire du cinéma français » dans le journal Slate. Le cinéma de genre cocorico aurait donné de ses nouvelles et celles-ci semblent bonnes puisqu’en effet, en plus d’être vivant, il semble en bonne santé. Ou en tout cas, il a toutes les capacités vitales pour bien vivre (ou mieux).

Concrètement, est-ce que le deuxième film de Thomas Cailley est aussi bon ? Est-ce un emballement à relativiser ? Est-ce la véritable pépite encensée ?

À défaut évidemment d’avoir la réponse à ces questions, voyons plutôt ce qu’on peut avoir à en dire, en quelques courts paragraphes.

Eh ben ouais c’est vraiment bien. Bon, évacuons d’emblée les quelques réserves que je peux malgré tout avoir.

Oui, il y a quelques tropes d’écriture qui m’embête. Le personnage de Fix – incarné par Tom Mercier – même si très sympa à l’écran, n’échappe cependant pas à une écriture un peu simpliste : d’abord protagoniste distant avec le héro, se laisse approcher par ce dernier et fini par se lier d’amitié avec lui et le sauve pour une dernière scène épico-tragique dans laquelle il meurt d’une balle dans la poitrine, au pieds d’un Émile triste, mais reconnaissant. On le voit un peu venir. L’écriture de certains personnages secondaires est un peu creuse : le gars de la classe qui se croit cool et qui bully de temps à autre le nouveau, le personnage de Julie surtout, que j’aurais aimé voir sans doute un peu plus – même si on pourrait arguer que son interventionnisme effacé est tout aussi intéressant dans le développement des personnages du père et du fils…

Mais oulah, nous débordons déjà sur des points négatifs qui font tâche face à une aussi grande réussite : j’adore Le Règne animal ! En peu de temps demandons-nous : pourquoi est-ce que le film est bien lors-même que je commence par ses défauts ?

Déjà refixons-nous sur Fix (désolé). Le personnage est malgré tout et attachant et très intéressant, en ce qu’il va incarner pour notre Émile le passe-relais entre deux mondes : celui dans lequel il baignait jusqu’alors et celui vers lequel il va s’acheminer. Son monde d’avant était constitué autour de la figure du père, géniteur-autorité qui tend constamment à ramener, rediriger son fils au sein de ce qu’il considère comme la cohésion familiale – papa-maman-fiston –, dans son premier foyer normatif j’ai envie de dire ; comme nous le montre la toute première scène, lorsqu’il ramène Émile dans la voiture de laquelle, énervé contre son papounnet, il décide de se tirer ; ou encore lorsque François persiste à chercher sa femme atteinte de la maladie des humains-animaux (des animains, des humaux?), se persuadant que ce virus qui se répand à échelle nationale (et continentale ? Internationale?) est soignable. Son monde d’après est celui dans lequel il va accepter sa ‘‘maladie’’, pour s’accepter finalement lui-même. Il va se transformer en animal (manifestement un genre de loup ou autre caniche), dans ce que la majorité des gens considère comme pure hostilité. Pourtant, grâce à Fix, Émile va favorablement accepter cette mutation physique, psychique aussi (il y a des scènes où Émile perd sa capacité à faire du vélo, pour gagner une ouïe fine par exemple), non comme quelque chose qui va lui imposer une certaine virilité masculine, mais comme l’opportunité d’un nouveau devenir, dans lequel tout ce que l’être humain a de plus primaire, de plus primal, ressurgit d’un dedans intime, pour transcender tous les codes et toutes les normes sociales, humaines, etc. vers une hybridation réconciliatrice – la parfaite fusion entre l’Homme et l’animal (ouf, ça en fait de longues phrases…). C’est Fix qui peut-être va au mieux incarner le basculement dans notre récit. Il fait partie d’une galerie de ‘‘créatures’’ comme ils sont appelés, qui va confronter les humains non-contaminés à une réalité à laquelle ils devraient se faire, avec laquelle ils devraient sans doute cohabiter, mais contre laquelle ils vont pourtant éprouver, pour la plupart, la plus vive adversité.

Mais ce basculement serait-il parallèlement celui que l’on connaît dans le monde, avec toutes les transformations naturelles plus ou moins réversibles, de nos temps troubles en matière écologique ? À y réchéflir…

Si le film, en terme d’images, de couleurs, de plans – bref, de pur processus filmique – me marque un peu moins (il y a peu de plans qui durent vraiment, même si 1. en soi ce n’est pas un problème si ce n’est pas à contre-emploi et à mon sens ça ne l’est pas tant 2. il y a une scène en plan long et en décor naturel vers la fin qui est un beau contre-exemple), la caméra est efficace et nous livre un beau spectacle, doté d’effets spéciaux mi-maquillages prosthétiques mi-FX numériques.

Si je ne suis pas très fanatique du jeu d’acteur, assez unique il faut bien le dire, de Paul Kircher (que je découvrais dans Le Lycéen de Christophe Honoré, plus tôt cette année), ce touchant tandem Kircher-Duris fonctionne vraiment bien, Adèle Exarchopoulos et son petit rôle souvent amusant joue toujours aussi bien (c’est vraiment l’une de nos grandes actrices décidément, même dans de plus petits rôles comme dans Mandibules de Quentin Dupieux ou je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry, elle est merveilleuse).

Breeeef, on pourrait développer et continuer encore, mais concluons.

Le Règne animal, c’est trop bien, même si ça aurait pu être encore plus poussé en terme d’écriture surtout, de plans sans doute, de quelques millions de plus pour le budget également – 16 millions d’€ (15,96 si on veut être tatillon)… peu importe. Après tout ces petits reproches sont d’autant plus à signaler qu’ils sont frustrants, car présents dans un film si bien et important par ailleurs, qu’on ne peut que les vouloir extérieurs aux prochaines tentatives de genre… de ce genre (xd). Car dans le fond comme dans la forme, le film est solide, fort et a le mérite de nous montrer que, quand bien même le cinéma français en général a ses problèmes, ses erreurs, il a ses petits joyaux précieux, qui n’ont de cesse de nous rappeler combien le 7e art, à l’origine de sa création matérielle, fait *CO CO RICOOOO* (y vient d’chez nous qué, alors hein bon, non mais oh!)

Voilà allez voir le deuxième film de Thomas si c’est pas encore fait. Et Anatomie d’une chute aussi. Et Bernadette (non ça pour le coup vous pouvez vous en passer). Des bisous ^^

Popoewmeow
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 24 oct. 2023

Critique lue 14 fois

1 j'aime

Popoewmeow

Écrit par

Critique lue 14 fois

1

D'autres avis sur Le Règne animal

Le Règne animal
Sergent_Pepper
8

L’amour dans les forêts

Sur les terres infertiles de la science-fiction française, le cinéma se tient encore prudemment à distance, et c’est dans la série que les tentatives sont les plus audacieuses. Ceci explique ainsi...

le 4 oct. 2023

225 j'aime

10

Le Règne animal
lhomme-grenouille
6

Bête difforme, mais bête qui vit

Je l’avoue, au départ, j’ai été rebuté. Dès ce dialogue d’introduction entre le père et le fils, je n’y étais pas. Ça sonnait faux. Les artifices pour mettre en évidence les caractères de chacun et...

le 13 oct. 2023

51 j'aime

19

Le Règne animal
Jonathan_H
9

La nature de l'Homme

Le Règne animal est une nouvelle production ambitieuse dans le paysage cinématographique français. Le cinéma de genre et les propositions originales semblent se faire plus fréquentes ces dernières...

le 5 oct. 2023

40 j'aime

2

Du même critique

La Passion de Dodin Bouffant
Popoewmeow
7

Bien manger : une affaire de santé publique... et de cinéma.

Trần Anh Hùng, voilà encore un cinéaste – qui comme son nom l’indique n’est pas suédois – dont j’ignorais l’existence avant d’entendre parler de son dernier film. D’autant que celui-ci a semble-t-il...

le 17 nov. 2023

1 j'aime

Second Tour
Popoewmeow
5

Aller..: le prochain, ce sera l'bon !

Albert Dupontel est de ces cinéastes qui donnent régulièrement de leurs nouvelles, sans pour autant enchaîner films sur films (en tant que réal j’entends). Il met du temps à mener des envies, des...

le 13 nov. 2023

1 j'aime

Winnie the Pooh: Blood and Honey
Popoewmeow
3

Passe-moi l'miel que j'm'étouffe avec.

Raaah, merci mais non-merci. En tout cas pas deux fois.Si le pitch a pu allécher un certain nombre d’entre-nous, le résultat n’emballe pas vraiment. Et ce quand bien même on reste conscient que les...

le 10 nov. 2023

1 j'aime