Au micro du podcast Réalisé sans trucages, Simon Riaux commence sa chronique en expliquant que c'est le film qu'il attendait depuis des décennies. Difficile de lui donner tort, tant Le Règne Animal se présente comme un ovni fantastique du cinéma français.
Presque 10 ans après Les Combattants, Thomas Cailley propose donc un second long métrage plein d'ambition où se mêlent tour à tour le drame, le fantastique et la science-fiction.
Dans une France post-COVID-19, nous suivons le quotidien d'une famille dont la mère est atteinte d'un nouveau virus qui transforme les humains en animaux, au terme d'un long et douloureux processus, entraînant peu à peu la perte de leur humanité.
Malgré l'étrange sérénité qui semble caractériser la société dans son ensemble (comme en témoigne la scène d'ouverture), le film aborde frontalement la peur latente qui grandit parmi les citoyens. Entre le rejet de ces êtres parfois terrifiants et un cruel manque d'empathie et de solidarité, la société s'enfonce peu à peu dans une haine totale et irrationnelle envers ces êtres hybrides. Ainsi, lorsque le camion transportant plusieurs de ces "bestioles" vers un centre spécialisé est victime d'un accident, c'est toute une région qui se lance dans une traque impitoyable. Parmi les fugitifs se trouve la mère de famille, désespérément recherchée par son mari François et leur fils Émile.
Si la traque ne représente finalement pas le cœur de l'intrigue, c'est pour mieux traiter les bouleversements en cours au sein de la société. Une radicalisation de la pensée que ni la médecine (encore balbutiante sur ce virus), ni certains humains plus modérés ne semblent en mesure d'endiguer. Sur fond de question identitaire écologique, le film met en scène un conflit idéologique majeur qui voit s'affronter la place de l'humain au sein du règne animal. Un sujet qui imprègne toute la toile de fond du film puisque le problème se veut mondial. Le père (François), qui s'oppose farouchement à la méthode française, plaide d'ailleurs pour l'approche norvégienne, qui se voudrait fondée sur le vivre-ensemble et la coexistence.
Cependant, bien que le décor du film évolue à une échelle macro-sociétale, Thomas Cailley détaille aussi les relations intimes des personnages et les bouleversements dont ils sont victimes. Portés par une interprétation de très bonne facture (Romain Duris et Paul Kircher notamment), nous assistons à l'évolution de la relation père/fils, le premier perdu dans la quête désespérée d'une femme disparue, le second plongé dans un questionnement identitaire profond. Le duo fonctionne à merveille et nous émeut aux larmes à plusieurs reprises, notamment dans cette scène de nuit en voiture, sur un air d'ailleurs de Pierre Bachelet.
Il est par ailleurs difficile de désigner un arc narratif principal compte tenu de la structure plus qu'organique du récit, qui nous place tantôt du côté du père, tantôt du fils, tout en variant les décors, les styles et les ambiances. Quoi qu'il en soit, les différentes ramifications du scénario contribuent toutes à l'ensemble et aboutissent à une réunification à l'esthétique plus que maîtrisée lors de cette course-poursuite sur échasses.
À cela s'ajoute bien sûr la qualité des effets spéciaux, très rarement vue à ce niveau dans le cinéma français, rehaussant par ailleurs la qualité de la mise en scène et de la réalisation. On ressent la générosité des équipes, et le film ne cherche jamais l'économie. Au contraire, il enrichit son univers en variant les plans, les approches et les situations.
En bref, "Le Règne Animal" surprend pour un film français et coche toutes les cases ! Porté par un jeu d'acteur brillant, une réalisation originale et incisive, le film se paie même le luxe d'effets spéciaux de grande classe pour un film fantastique d'exception. À voir en salles, évidemment.