Xi Jinping et ses camarades clowns du comité de censure auront donc attiré notre attention là-dessus: cette grande et nouvelle Chine moderne qu'il tente de nous vendre à longueur de discours rencontre encore quelques couacs au fin fond de leurs campagnes. De tous les pays et de toutes les époques, les censeurs ne se sont jamais signalées à nous par leur intelligence. Cela se vérifie encore.
LE RETOUR DES HIRONDELLES ne nous montre pourtant pas comment on s'échange des valises de billets entre membres du Parti, ni les conditions de survie dans un camp de travail Ouighour, non: il nous montre juste comment la Chine néolibérale de maintenant a fait se retourner les campagnes vers un régime néo-féodal horrible. Les propriétaires terriens y sont occupés à changer de BMW chaque année et à rouler les paysans sur le poids des semences lorsqu'ils ne les exproprient pas sans préavis.
Le film raconte surtout comment Ma et Cao se marient, comment ils vont vivre ensemble et finir par s'aimer. Lui, paysan analphabète méprisé par ses frères et qui ne sait faire rien d'autre que travailler de ses mains, elle toute tordue et boiteuse, incontinente d'avoir trop été frappée quand elle était gosse, condamnée à ne pas avoir d'enfants.
Sur une note aussi misérabiliste, Ruijun Li parvient pourtant à nous raconter un parcours qui décoiffe. Ces deux grands amochés, ces deux "parmi les plus fragiles" comme dirait l'autre pitre ont beau se faire rouler par le petit baronnet local (le genre de petite frappe qu'on croise souvent dans les films de Jia Zhangke), essuyer les crachats et les moqueries d'un entourage qui les méprise, ils feront fructifier leurs terres et construiront leur maison avec quelques outils rudimentaires et leur âne.
Voilà donc ce qu'il ne fallait pas montrer: une "Chine d'en bas" qui travaille et s'échine sans l'aide de personne, et une nouvelle Chine d'en haut qui les surveille du coin de l'oeil et leur saute dessus quand tout est bon à leur prendre. On se croirait comme partout ailleurs, libéralisme global oblige, avec un zeste d'archaïsme moyen-âgeux en sus.
LE RETOUR DES HIRONDELLES est certainement le plus beau film vu depuis le début de l'année. D'un classicisme somptueux, qui prend son temps de filmer les saisons comme l'éclosion d'une affection commune mille fois plus émouvante que n'importe quelle autre histoire d'amour. Dans le rôle de Cao, pauvre brindille brisée au regard affolé, la comédienne Hai-Qing est absolument scotchante.