Quitte à revendiquer un cliché générationnel, j’aurai poncé une belle quantité de VHS lors de mes jeunes années : et comme beaucoup d’autres, les dessins-animés y occupaient une place prépondérante, pour ne pas dire omnipotente. Mais au cœur d’un patchwork de souvenirs dominés par les produits Disney, Warner and so on, il est bien une œuvre ayant tiré son épingle du jeu : celle-ci, c’était Le Roi et l’Oiseau, joyau du cinéma d’animation français ayant notamment influencé la naissance des Studios Ghibli - rien de moins.
Né des cendres de La Bergère et le Ramoneur, son aîné renié par la paire Grimault/Prévert, ce long-métrage à nul autre pareil aura donc grandement marqué le marmot que j’étais, pourtant bien en peine d’en saisir toutes les subtilités : mais, là où le sous-texte et la prouesse d’alors réalisée s’apparentaient à des données inaccessibles, Le Roi et l’Oiseau démontre en tous points de son accessibilité, lui qui fut pensé pour tous les publics.
Récit poétique de par son essence première, rien n’aurait su ternir l’éclat de son atmosphère atemporelle, pas même vingt années (à la louche) de séparation : à juste titre, les retrouvailles se font à l’aune d’une nostalgie vivace à souhait, au point de friser la jubilation ! Au regard de son unicité, ce récent visionnage s’auréolait qui plus est d’une curiosité accrue, symboliques et ton engagé faisant de ce divertissement un objet artistique conscient qu’il convient d’apprivoiser... ou pas.
Comme à l’image de son farceur d’Oiseau, trublion rebel de son état, le long-métrage se veut insaisissable : si le panorama du royaume de Takicardie rend compte de son envergure, l’immersion en son sein aspire le spectateur dans un dédale de défilés tortueux eux même surplombés d’immenses façades en pagaille. Chose que l’on retrouvera dans nombre de châteaux made-in-Ghibli, Le Roi et l’Oiseau se fend d’un sens de la démesure impressionnant, ses tours culminant à des hauteurs vertigineuse se couplant à la perfection à l’architecture écrasante définissant les lieux.
Dans une veine davantage politique, l’omniprésence de sculptures à la gloire de Charles-V-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize confèrent à ces derniers une dimension supplémentaire, l’oppressante structure se muant en une entité gagnée à la cause de son Roi : à grand renfort de police secrète, portes à la dérobée et trappes dissimulées, le film tisse une toile despotique aussi décalée qu’inexorable, la mégalomanie patente du monarque déteignant à n’en plus finir sur l’ambiance à l’œuvre.
Pourtant, à contre-courant d’une tyrannie bigarrée mais bien réelle, Le Roi et l’Oiseau parvient à se doter d’une teneur enchanteresse : d’abord par l’entremise de son diable de Volatile, faisant sien les cieux pour mieux tourner en dérision son adversaire couronné, mais également au gré d’élans romantiques délicieux. Les fuyards que sont la Bergère et le Ramoneur en sont le fer de lance par excellence, mais le long-métrage ne s’en tient aucunement à la seule surface d’un genre bien plus étendu que l’on ne le pense : la composition de l’illustre Wojciech Kilar abonde en ce sens, et la découverte de la ville-basse et de ses âmes recluses parachèvera cette signature sentimentaliste.
Mais, tandis que l’animation produit des merveilles à l’attention de notre rétine, que les textes de Jacques Prévert nous ensorcellent sans coup férir et que le récit se veut surprenant, Le Roi et l’Oiseau affiche quelques faiblesses : les zones d’ombre du royaume de Takicardie, pourvoyeuses de passages secrets notoires, s’apparentent parfois à de grosses ficelles facilitant le bon déroulé des événements ; le ton fantastique du récit s’impose quant à lui sans véritable justification, quitte à constituer également un vecteur de raccourcis propices ; enfin, le long-métrage semble perdre quelque peu son sens de la perspective dans son dernier acte, le destructeur géant réduisant à néant une cité au gigantisme fluctuant.
Pour le reste, difficile de tenir davantage rigueur à cette œuvre sacrément généreuse, porteuse d’un message percutant : si ses aspirations libertaires transpirent à n’en plus finir, il subsiste toutefois une myriade de nuances (la vantardise et l’extravagance de l’Oiseau, la finalité destructrice d’une rébellion sans garde-fous etc.) que colore savamment cet enrobage poétique si emblématique.