Comme souvent dans l'animation, ce film possède plusieurs niveaux de lecture. Caché de prime abord par un faux-semblant de conte pour enfants manichéen, Paul Grimault nous envoie par la symbolique de son oeuvre toute la puissance de la Révolution à la face.
Le film commence par dépeindre une monarchie tyrannique dans laquelle le roi ne montre aucune sensibilité pour tout ce qui est extérieur à sa personne. Il hait même cet oiseau qui le moque, lui, le roi de Takicardie. Puis, lors d'une nuit tranquille, les tableaux s'animent. Le roi est déchu par son double, plus mégalomaniaque encore, et animé du désir de saisir la bergère, enfuie avec le ramoneur, échappés tous deux aussi de toiles peintes. S'en suit une course poursuite menée par le tyran et ses sbires, alors que les fugitifs sont guidés par l'oiseau.
Esthétiquement, le film se pare d'une architecture époustouflante. La démesure semble la norme. Les arrêtes saillantes des bâtiments se terminant en pointes de lance semblent ne jamais prendre fin dans la fuite des bâtiments vers le ciel. Ce château semble tenir comme un château de cartes, en dehors de toute règle physique.
Les tons pastels employés pour le décor font resurgir les personnages royaux avec vivacité. L'animation, notamment celle de l'oiseau, est d'une fluidité irréprochable. Formellement, le film est donc très réussi.
Mais le fond l'est encore plus. Je me permets ici de livrer mon interprétation toute personnelle, mais qui je crois, est assez évidente sur cette oeuvre.
La substitution du roi par son homologue de peinture prend les contours d'une révolution de palais. Celle-ci est particulièrement délétère pour le couple en fuite qui doit se soustraire au désir du roi fou qui souhaite rester dans l'Histoire en en épousant toutes les formes : "Les bergères finissent toujours avec les rois". Malgré ce chemin du pouvoir royal tout tracé, la bergère suit le chemin de son cœur, triomphe de l'amour sur le luxe et de pouvoir. Rien d'original, certes.
Seulement, la puissance iconographique des scènes suivantes est extraordinaire. L'oiseau, durant toute cette fuite, endosse le rôle d'auxiliaire, jouant des tours au pouvoir, avec beaucoup de légèreté et de malice. Véritable pourfendeur de la tyrannie, pris d'affection pour le duo d'amoureux, symbole de pureté, il parvient à prendre le contrôle du robot de la régence, machine de destruction écrasant le petit peuple parqué sous terre dans l'obscurité, ne connaissant rien de la lumière d'au dessus et des trésors qu'elle éclaire. Ce détournement à son profit de l'arme ultime survient après avoir lancé l'insurrection en gouaillant auprès des lions, luttant désormais pour leurs intérêts contre la noblesse, comme les bourgeois assistants du prolétariat en 1789.
Triomphe de la liberté qui brise les barreaux dans lesquels elle se trouvait confinée, rasant le vieux monde hiérarchique qui oppresse les faibles au profit d'un seul homme, le déluge est passé. Sur ces ruines peuvent se reconstruire un monde neuf. C'est à cet instant que survient la scène qui cristallise toute l'essence révolutionnaire du film, arrachant un frisson à l'échine devant sa puissance symbolique. Le robot, de sa main de fer immense, libère un oisillon, enfermé encore dans une minuscule cage, avec délicatesse. Puis les doigts se replient, le poing se ferme, et le souffle de révolte détruit la dernière parcelle d'enfermement d'un coup de poing ravageur sur cette prison miniature.
Le monde est détruit, mais libre de nouveau.