Un petit 6/10 pour souligner la nostalgie de ce cinéma de divertissement à la française, dont on a visiblement perdu la recette - alors même que "Le ruffian" réunira en salles plus de 3 millions de spectateurs.
Le réalisateur José Giovanni adopte son propre roman, et met en scène une histoire d'amitié et d'aventure, les deux principaux thèmes qui traversent l'ensemble de son œuvre.
Il choisit pour décor les grands espaces canadiens au cœur des Rocheuses, avec des paysages naturels grandioses - lacs, montagnes, rapides, chute d'eau… - qui insufflent aux premières séquences du "Ruffian" une atmosphère de western, soulignée par la bande originale de Morricone.
Hélas, le retour en ville (Montréal) du héros campé par Lino Ventura nous éloigne longuement de cette ambiance de chasse au trésor, qui ne fera son retour que dans la dernière demi-heure (durant laquelle la caméra de Giovanni nous offrira quelques moments de bravoure).
Ce long intermède central permet d'introduire le personnage atypique de Bernard Giraudeau, mais vient casser le rythme général, et dénote une hésitation coupable dans le choix de la tonalité à adopter : un peu de comédie avec le personnage de John, beaucoup d'amitié virile avec les flashbacks, une pointe de drame avec l'accident de Gérard, une touche de romance, une ou deux scènes d'action avec le retour des Indiens…
Ce grand mélange des genres destiné à plaire au plus grand nombre aurait pu fonctionner, mais ce n'est pas (complètement) le cas, car "Le ruffian" manque clairement de punch - au niveau du montage, par exemple.
D'autre part le film souffre du manque de développement de ses personnages féminins : une Claudia Cardinale vieillissante parvient à sauver les meubles dans son rôle de Baronne, mais la jeune Béatrix van Til souffre d'une caractérisation à peu près inexistante (amoureuse de Gérard, point), en plus d'être sans charme. Je suppose qu'il fallait une fille du coin qui ait l'accent et soit sportive, la beauté et le talent étant en option ; sans surprise, sa carrière s'arrêtera brutalement après ce film…
Toujours côté interprétation, on ne sent pas une direction d'acteur affirmée, les comédiens donnant souvent l'impression d'en faire trop. C'est inhabituel de voir Lino aussi cabot dans certaines scènes, mais il faut dire qu'on l'a rarement croisé dans des rôles comme celui d'Aldo, un baratineur volage, un peu loser, un peu voyou (c'est d'ailleurs la signification du terme "ruffian" : un maquereau, et par extension un petit voyou).
Même si j'ai surtout mis en évidence ses faiblesses, "Le ruffian" reste un sympathique divertissement familial, l'un des derniers films d'aventures de ce type, le témoin d'une époque révolue, où le cinéma français célébrait l'amitié virile et la convivialité comme des vertus cardinales.
C'est surtout l'une des ultimes occasions d'admirer Lino Ventura sur pellicule, puisqu'il ne tournera plus que "La septième cible" avant son décès en 1987.