Des quatre épisodes qui ont suivi dans un temps éclair le chef d’œuvre de Franklin J. Schaffner, mieux vaut souligner les surprenantes petites réussites que sont Le Secret de la planète des singes (épisode 2) et La Bataille de la planète des singes (épisode 5), plutôt que les deux autres, dont la mise en scène paresseuse et la prévisibilité agissent comme de véritables somnifères.

Curieusement, les railleries se concentrent en général sur le kitsch de la seconde séquelle et sur la pauvreté des moyens du dernier rebus de cette gigantesque poule aux œufs d’or. Le Secret de la planète des singes s’articule pourtant merveilleusement avec son prédécesseur, en réutilisant le désert inquiétant de son aîné, et en commençant précisément où le film de Schaffner s’achevait. Au-delà de cet aspect visuel, sorte de piège sentimental un peu facile qui nous ramène immédiatement à la beauté du premier opus, et de la jouissance naturelle de retrouver des personnages colorés, il faut saluer les trouvailles scénaristiques de Paul Dehn, qui assurera d’ailleurs l’écriture de toutes les suites, et cela avec plus ou moins de bonheur. Impossible d’en dire plus sur le sujet sous peine de décevoir des spectateurs innocents (Le Secret de la planète des singes ne s’appelle pas ainsi pour rien), mais c’est indéniablement le talent d’écriture de cet Anglais là qui ouvre un boulevard à l’Américain Ted Post, nommé ici réalisateur en chef et alors seulement connu pour son beau western Pendez-les haut et court. Le savoir faire modeste de ce dernier pallie avec intelligence un manque de moyens avéré, si l’on en juge par les effets spéciaux, rares et sommaires. En effet, les producteurs semblent bizarrement ne pas avoir voulu trop se mouiller… Mais Post n’en a que faire : il croit dur comme fer à l’histoire concoctée par Dehn, et exploite au maximum les idées visuelles que suggère celle-ci. De plus, on ne trouve pas la moindre trace d’humour dans ce second épisode ; cela contribue indéniablement à nous faire croire aux découvertes ahurissantes (mais plutôt réalistes) des personnages. Ce premier degré avéré nous ferait presque passer des vessies pour des lanternes… Bien sûr, on sent déjà, dès ce deuxième opus, les velléités humanistes un peu pataudes de Paul Dehn. Mais c’est ici son penchant pessimiste, on pourrait même dire un sens affûté de l’eschatologie, qui prend le pas. Rarement un monde post apocalyptique n’aura semblé aussi saisissant, rarement on aura vu un tel jusqu’au boutisme dans la noirceur (cf. le final, époustouflant). Et en ce sens Le Secret de la planète des singes pourrait presque faire office de film visionnaire. Le décor et les personnages posés, le rythme soutenu et les rebondissements incessants enveloppent le reste, et on suit cette série B avec un plaisir non feint.

Passons maintenant rapidement sur l’épisode 3, qui ne devrait même pas avoir existé puisqu’il repose sur une aberration scénaristique totale (des singes auraient repêché le vaisseau de Charlton Heston aka Taylor, englouti dans un lac, et l’auraient remis en marche pour aller sur la Terre). Les producteurs, non contents de réduire à chaque fois les budgets des suites, semblaient donc fermement décidés, d’une part à sucer la moelle jusqu’au bout, d’autre part à prendre les gens pour des cons. Dans cette perspective, difficile de croire une seconde aux péripéties de ces deux singes qui doivent sauver leurs poils face à une humanité calculatrice qui les perçoit comme un danger pour l’humanité. Les caractères sont grossiers, la satire sociale ne fait jamais mouche. Mais surtout, surtout, on n’est plus dépaysé pour un sou. Les déserts sublimes et les villages primitifs cédant la place au béton d’une grande agglomération. C’est à ce moment que l’on saisit que le décor joue un rôle primordial dans la force de la saga. Et l’épisode 4 ne nous fera pas mentir : censé retracer la révolte simiesque face à l’oppresseur humain (dont on connaît l’issue dès le départ d’ailleurs), le film est englué dans des considérations éthiques niveau CM2. Et si le fond, presque révolutionnaire, est attachant, sa mise en forme est d’une banalité affligeante (cf. la dernière demi-heure, bataille rangée interminable).

La Bataille de la planète des singes, toujours réalisée par Jack Lee Thompson seulement à quelques mois d’intervalle de La Conquète de la planète des singes, fait office dans ce contexte moisi de petit miracle. Pourtant il y avait tout à craindre d’une telle suite : même scénariste en perte de vitesse (le fameux Paul Dehn donc), même réalisateur sans inspiration. Mais ce pur film de commande au budget dérisoire va permettre contre toute attente aux deux compères de sortir leur épingle du jeu, de concocter un film un peu fou, voire malade. La situation est la suivante : dans un monde post atomique, les singes se sont écartés des grandes villes et se sont associés bon gré mal gré avec quelques humains pour recréer une société « humaniste ». Ces derniers assurent les tâches manuelles mais aussi l’éducation des singes, qui maîtrisent depuis peu le langage. Dans les villes restent quelques humains irradiés, diminués et quelque peu rancuniers à l’égard de leurs cousins simiesques. Pour ce baroud d’honneur, Paul Dehn décida de faire fi de l’aspect politico-éthique et bien lui en pris. Reste alors un pur film d’aventures pessimiste, qui renoue avec l’imagination visuelle du Secret de la planète des singes. Mais au-delà des décors percutants, ce sont surtout les images de cette humanité en putréfaction, de cette minable armée de boîteux cancéreux qui interpellent. Certains ont voulu y voir les signes pitoyables d’un financement façon Emmaüs, mais on ne peut au contraire qu’admirer la malice de deux auteurs qui ont su contourner avec intelligence des contraintes drastiques pour en tirer un résultat assez saisissant, voire malsain. Alors bien sûr on connaît par avance l’issue de cette fameuse bataille, mais cela n’empêche pas de savourer (avec un certain malaise) le triste constat d’une humanité partagée entre l’asservissement sourd et la folie suicidaire : bref, de contempler une humanité en voie d’extinction. Rarement les films eschatologiques prennent-ils la peine de décrire cet entre-deux, cette phase bâtarde située bien avant la phase ultime des derniers survivants et quelques années après le cataclysme. En cela, et au même titre que Le Secret de la planète des singes, ce dernier épisode d’une saga en dents de scie est unique.


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le 5 juin 2024

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François Lam

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