Si, comme votre serviteur, vous vous plaisez à enrichir votre connaissance des univers de fiction que vous affectionnez en regardant des vidéos remarquablement documentées, narrées, illustrées et surtout, neutres, vous êtes peut-être familier de la chaîne YouTube de Mestre Thibaut, que je vous invite à découvrir si ce n'est déjà fait.
Dans une de ces dernières, celui-ci avait en effet teasé l'intrigue du film dont il est question aujourd'hui, en prenant grand soin d'avertir le spectateur pour ne pas lui gâcher l'expérience du visionnage. Pour autant, même en toute connaissance des tenants et aboutissants de l'histoire, il y a avait là de quoi passer un bon moment, tant le sujet s'y prêtait.
Du moins le croyait-on.
Lorsque l'on écoute un fan passionné s'exprimer sur un lore qui nous passionne tout autant, on a les yeux qui brillent et l'imagination débordante. Lorsque l'on écoute une actrice connue, dans le contexte, pour être l'interprète d'un personnage déjà progressiste pour l'époque, ouvrir un film en nous vantant les mérites d'un personnage conditionné par son sexe avant même de nous le présenter, c'est une toute autre histoire.
Ainsi fait-on la connaissance d'Héra, fille unique non-nommée chez Tolkien de Helm Main-Marteau, qui pendant 2h15 de métrage n'aura de cesse que de piquer la vedette à son illustre père, ses frères, son cousin, son valet et bien-entendu, le grand méchant de l'histoire, pur concentré de masculinité toxique et de pathos bien appuyé. En effet, celui-ci n'hésitera pas à déclencher une guerre, mettre le pays à feu et à sang et exterminer (presque) toute une lignée royale sans jamais se remettre en question, sous le simple prétexte d'avoir été éconduit par son amie et amour d'enfance, qui de son côté va cocher absolument toutes les cases du féminisme/girl-power :
Mettre un râteau à un soupirant de longue date qu'elle a déjà estropié par le passé et qui ne la mérite pas plus que, je la cite, "aucun homme" ? Fait. Distancer un Mumâk enragé et dévastateur (il faut dire que quand on a le cheval le plus rapide, ça aide un peu) ? Fait. Avoir raison sur toute la ligne ? Fait. Occire d'un seul coup de lance un troll des neiges de trois mètres ? Fait. Obtenir le repentir de sa tête de mule de géniteur et ainsi permettre sa rédemption ? Fait. Avoir les meilleures idées ? Fait. Réduire la figure héroïque et amicale de Sam Gamegie à celle d'un laquais peureux et maladroit ? Fait. Escalader une falaise à pic sous la neige avec des crampons sortis d'on-ne-sait où ? Fait. Constituer un précieux allié d'un monstrueux aigle qui pourrait la mettre en pièces et n'en faire qu'une bouchée ? Fait. Sauver des centaines de femmes et d'enfants menacés par la faim, le froid et l'oppresseur ? Fait. Avoir l'air ultra-stylée pour l'affrontement final ? Fait. Humilier au combat le même incel ténébreux et vengeur du début ? Fait. Sans même y perdre une plume ? Fait. Laisser son cousin se farcir les aff(ai)res du royaume car c'est bien plus marrant de conserver son indépendance et de parcourir le monde telle une Lara Croft d'heroic fantasy ? Fait. Et j'en passe...
Aux seuls moments où la demoiselle se retrouvera en difficulté, elle ne devra son salut non pas aux hommes, bien trop dépassés et butés, mais bien aux femmes (c'est effectivement une ancienne femme-bouclier qui la sauve des griffes de ses ravisseurs alors que son cousin était prêt à donner sa vie pour elle, et une vieille folle qui va lui souffler la ruse finale renvoyant directement au mythe de la skjaldmö ou Valkyrie — seule véritable bonne idée du film pourvu qu'elle fut exploitée dans de meilleures circonstances), voire aux animaux (j'ai déjà parlé de l'aigle sans qui le Rohan n'aurait pu être libéré du joug de l'usurpateur, ai-je oublié le cheval qui la sauve du traître en le poussant dans les flammes ? Je vous vois d'ici dire que l'on avait déjà vu cela dans Le Retour du roi, à ceci près que c'était sous l'impulsion du cavalier et non de la monture). Oui, même les bestiaux inspirent davantage de respect que les hommes dans ce film.
On pourrait objecter que d'une part, cela respecte malgré tout assez fidèlement le récit d'origine, d'autre part que ce n'est pas la première fois qu'une femme s'illustre en se rendant capable de hauts-faits : après tout, Beren sans Lúthien n'aurait pu subtiliser un Silmaril à la barbe et au nez de Morgoth, pas plus que Merry ne serait venu à bout du Roi-Sorcier sans Eowyn, Frodon sauvé sans Arwen, le Conseil Blanc fait fuir Sauron la queue entre les jambes sans la puissance de Galadriel, etc. Sauf que lorsqu'un personnage s'attribue absolument TOUT le crédit, cela ne fonctionne plus, d'autant moins lorsque, tel qu'expliqué plus haut, les seuls autres personnages un tant soit peu vertueux s'avèrent faire partie de la même gent, ce qui rend difficile — pour ne pas dire impossible — ne pas trouver là du prosélytisme, voire de la propagande.
Preuve étant avec le sacrifice ultime de Helm, qui eut pu être la meilleure scène du film s'il n'avait été désamorcé quelques secondes auparavant par un acte de contrition du vieux roi envers sa fille (pour qui il n'a pourtant jamais manqué à son devoir de protecteur), ou encore Fréaláf, qui dans le récit original méritait sa couronne après l'avoir repris des mains de Wulf en même temps qu'Edoras, et ne se contentait pas d'attendre la validation et de sa cousine et l'armure de son défunt oncle pour singer Gandalf et Éomer à la fin des Deux Tours. D'ailleurs une fois n'est pas coutume, mais où était le Gondor lorsque l'Ouestfolde est tombé ?
Voilà pour le fond. Pour la forme, donnez aux personnages une allure plus proche de Fire Emblem que du Seigneur des Anneaux (surtout l'héroïne), une 2D en parfait décalage avec les mêmes décors autrefois imaginés par Peter Jackson, une animation beaucoup trop saccadée et balourde (c'était bien la peine de faire appel au studio qui 10 ans plus tôt nous pondait le fluide et percutant Attaque des Titans), une durée beaucoup trop longue et assomante, un fan-service outrancier (guetteur de l'eau par-ci, "Muster the Rohirrim !" par-là, caméo d'outre-tombe de Christopher Lee pour la fin... si son film n'était pas déjà prévu, il ne manquerait plus que l'autre fétichiste avec sa double-personnalité pour couronner le tout), des scènes de batailles d'une pauvreté abyssale surtout en terme d'effectifs (alors qu'on parle de l'époque où le pays des seigneurs des chevaux est censé être à son apogée militaire), des facilités scénaristiques à souffler par le nez
- Hé, t'as vu ? J'ai ton fils en otage ! - Ah c'est cool ! Qu'est-ce qui m'empêche de te faire descendre par un de mes archers et de le récupérer ?
et enfin une BO peu inspirée si ce n'est pour reprendre à tout-va les compos d'Howard Shore et vous obtenez l'incrustation la plus maladroite, caricaturale et forcée au sein de l'adaptation la plus marquante de l’œuvre de ce bon vieux J. R. R. Bravo Warner, vous avez réussi à faire pire qu'Amazon et je pèse mes mots !
Mon conseil ? Regardez ici la vidéo qui dure à peine 12 minutes et épargnez-vous ça, ça ne vaut ni le coup, ni le coût.