...environ une demi-heure. Et je vis les sept Anges qui se tiennent devant Dieu ; on leur remit sept trompettes. » Et c’était la fin !
Le cinéma de d’Ingmar Bergman est beau. Il excelle aussi bien dans les clairs obscurs que dans les lumières vives, les portraits que les scènes de groupe, les situations dramatiques que la fête amicale… Une fois ce point admis, reste à traiter du fond : que nous raconte-t-il ?
Le septième sceau est d’un abord ardu. Il nous plonge dans un Moyen Âge profond. Entendez sombre. Bergman force le trait et ne prétend pas faire œuvre d’historien : il convoque les peurs de l’an mille, les croisades (XIe), les pestes noires (XIVe), les danses macabres (XVe), les chasses aux sorcières (XVIe) ; il ne manque au tableau que les Bogomiles et les Cathares. Il nous plonge dans une allégorie, un conte philosophique, en situant ses héros dans un monde chrétien aux portes du désespoir. L’accumulation des plaies lui fait craindre, ou espérer, la Fin des temps. L’Apocalypse ! Qu’attendre de Dieu ? La question n’étant pas de savoir s’il existe, mais plutôt qui est Dieu ? Dieu est-il cruel ? Indifférent ? Impuissant… Éternelle question, que celle de la liberté accordée par un Dieu supposé tout-puissant au Mal.
Nous suivons le chevalier Antonius Block, joué par un jeune Max von Sydow. Ce juste est de retour, après dix ans de croisade. Jadis, il est parti à l’invitation de Raval, un prêtre qui a, entretemps défroqué. Il aspirait à la paix, mais n’y a rencontré que la guerre et la mort. Il retourne en Suède, hanté par cette interrogation : le Dieu miséricordieux des Évangiles est-il une tromperie ? Il ne rapporte de son périple que la capacité de voir la Mort en face. D’ailleurs, la voilà. Elle vient le chercher. Il accepte l’issue fatale, mais négocie un sursis, une partie d’échecs, le temps d’achever sa quête. Bergman s’inspire d’une peinture d’Albertus Pictor, La mort jouant aux échecs. Comment ne pas penser aussi à la gravure Le Chevalier, le Diable et la Mort d’Albrecht Dürer ? Inquiétée par cette requête inhabituelle, la Mort triche. Les hommes ne l’ont pas accoutumée à un tel courage. Qu’espère donc cet homme ?
Il ne veut plus seulement « croire, mais connaître », car « croire, c’est souffrir. » Il confesse son orgueil : il s’est trop éloigné des hommes… Block interpelle la Mort, qui ne sait rien sur Dieu. La sorcière sera calcinée pour avoir forniqué avec le Diable, que lui a-t-il dit ? Elle ne sait rien. Qu’attendre des humains terrifiés ? Les morts gisent abandonnés sans sépulture, tandis que les vivants boivent la nuit pour oublier leurs peurs et, le jour, se flagellent, se terrent ou, pis encore, brûlent de pauvres filles. Les prêtres prêchent une repentance désespérée et invitent des artistes complaisants à terroriser leurs ouailles.
L'écuyer Jöns (Gunnar Björnstrand) assume un agnosticisme froid. S’il jure et vit sans Dieu, il se révèle bon, défend la veuve et l’orphelin. Chemin faisant, une petite communauté se réunit sous la protection des deux hommes d’armes. Un forgeron cocu et son épouse volage, un comédien cynique et jouisseur, une jeune fille abandonnée, Jof et Mia, un couple de baladins, et leur nourrisson. Bergman s’attarde sur ces derniers. Jof (Nils Poppe), jongleur et acrobate, est un homme simple, joyeux mais fragile. Cette âme pure prétend voir Marie, Jésus et les anges, mais qui croirait un comédien ? Personne, pas même son épouse, qui se contente de l’aimer.
La troupe pique-nique dans un champ. Bock observe et profite pleinement cet instant de grâce... et nous avec lui. La paix est donc possible. Suffit-il d’un homme bon pour changer le monde ? Il sourit. La Mort appelle désormais à elle toute l’assemblée. Bock ne la craint pas pour lui, mais s’inquiète pour Jof, Mia et le petit Michel. Ils reprennent la route vers le château de Bock. Le chevalier a perdu la partie et rejoint son ultime rendez-vous. Troublée, la Camarde a laissé filer les jeunes comédiens, prévenus, comme dans un songe, de la menace. La danse macabre se forme et s'éloigne. Pourtant, Mort, où est ta victoire ?
Mai 2017.