Teckel est un petit chien marron qui a beaucoup de prénoms, wiener-dog, duty ou encore cancer. Il a un corps trop long et des pattes trop courtes et de grandes oreilles qui rebondissent et de petits yeux globuleux.
Pendant qu’il tourne en rond dans sa petite cage comme tous ceux qu’il croise le fond dans la vie, un vieux monsieur rentre dans la salle. Il demande à haute voix si c’est bien ici, Teckel, puis se répond à lui-même que oui, qu’il y a des chiens qui aboient. Et puis il va s’asseoir et puis dit qu’il fait froid ici et puis qu’il a froid et alors il change de place.
Teckel, lui, a trouvé un nouveau maître. Un enfant. Un survivant dont les cheveux ont repoussé, très curieux, qui veut comprendre tout ce qui l’entoure et le pourquoi des choses et le monde dans lequel il vit et puis son père qui crie tout le temps et puis sa mère hystérique qui invente des histoires incroyables pour ne pas lui dire la vérité et puis leur grande maison en verre qui donne sur un grand jardin verdoyant. Leur maison est très bien meublée, dans le genre minimaliste tout lisse et très bien rangée et très propre et Teckel tombe malade et fait caca partout alors le père qui crie tout le temps l’emmène se faire piquer. Le petit enfant ne l’oubliera jamais, son petit chien marron, Teckel, Wiener-dog, comme il l’appelle.
Le vieux monsieur qui a froid a répété qu’il avait froid pour que tout le monde sache qu’il avait donc toujours froid ou pour se rappeler à lui-même qu’il avait en effet toujours bien froid et il a rechangé de places quatre fois en répétant à chaque fois, qu’effectivement, il faisait froid à cette place là aussi. Il rigole à toutes les répliques et dès que teckel agite son corps disproportionné ou alors quand il nous fixe de son regard triste. Et puis d’un seul coup, il s’en va.
Teckel, lui, est sauvé et passe de maîtres en maîtres. Une adolescente blonde en quête de sens, de quelque chose à faire de sa vie, un scénariste raté qui gesticule au milieu de la sienne et une vieille dame taciturne, qui regarde toutes celles qu’elle n’a pas eu, toutes celles qu’elle aurait pu avoir, toutes celles qu’elle aurait pu être. Peut-être. Des maîtres seuls et des maîtres perdus et des maîtres paumés qui se débattent dans leur vie trop grande, comme s’il portaient des pantalons de six mètres de longs et des pulls de 8 mètres de larges et qu’ils se prenaient toujours les pieds dedans et qu’ils n’en pouvaient plus de traîner tout ça partout où ils vont et qu’ils ne savaient pas trop quoi faire de tout cet espace en trop, de tout ce vide qui les entoure.
Teckel, lui, les suit en voiture et sur la route et dans les villes et dans de petites banlieues pavillonnaires toutes identiques et dans leur chambre et dans leur salon et les accompagne pendant un petit bout de vie. Il les regarde du haut de sa basse position, sa petite tête au ras du sol et écoute avec ses grandes oreilles leurs conversations qui se répètent, qui perdent de leur sens, qui détournent la réalité. Hantée par la mort. Toujours.
Et comme ça, le petit Teckel, avec son long corps et ses courtes pattes et ses grandes oreilles et ses petits yeux, bien aidé par l’apparition du vieux monsieur qui a froid et qui change de place et qui rit à tout et qui s’en va, nous livre une réponse extrêmement simple à une question incroyablement compliquée. Quel est le sens de la vie ?
Et bien il n’y en a probablement pas. Il y un début et puis il y a une fin. Pour teckel ce sera un camion sur une voie rapide, mais contrairement à Teckel, ses maîtres, le petit enfant curieux et l’adolescente blonde et le scénariste raté et la vieille dame taciturne peuvent se débattre du mieux qu’ils peuvent pour remplir tout ce qu’il y a entre les deux. Alors autant le faire avec des choses qui leur plaisent.
Et à la fin, ils mourront eux aussi.