Mon dieu qu'il est dur de s'attaquer à un film de Scorsese. On redoute toujours le pire. Soit d'être déçu, soit de n'être pas assez réceptif à la beauté du film. Et lorsqu'on ne sait pas à quoi s'attendre, comme avec Le Temps De L'Innocence, la surprise reste entière...
Mais il faut bien se lancer.


La puissance de l'art n'est effective que par son accessibilité. Et ça, Martin Scorsese l'a bien compris. C'est ce qui fait de lui l'un des plus grands (sinon le plus grand).
Jamais le réalisateur n'est pédant ou prétentieux. Ces films sont la générostié même, donnée à ceux qui veulent bien les recevoir.
Lorsque qu'on annonce que Scorsese adapte un roman d'Edith Wathon, on ne peut être que surpris. On s'attend au pire, à un revirement total et décevant de style de celui qui précédemment réalisa Les Affranchis et Les Nerfs à Vif.
Et pourtant lorsque l'on regarde le produit fini, on ne saurait se dire que ce n'est pas du Scorsese. En adaptant une histoire qui lui tient à coeur, Scorsese fait des merveilles. Son style n'en est que confirmé, et même enrichi. Caméra acrobatique, montage saccadé et si particulier, travellings et plans séquences cultissimes, sans aucun doute, "la patte Scorsese" est là. Tous les tics si particuliers du maître entrent en résonnance avec les décors et costumes outranciers des intérieur de l'époque qu'il met en scène.
Son habituelle voix-off s'intègre au mieux dans ce récit tumultueux et littéraire, s'il en est.
Mais là où Scorsese surprend, c'est dans le raffinement extrême dont il peut faire preuve vis à vis des textes. Toute la pulpe des dialogues d'Edith Wathon est ici extraite et assaisonnée par des comédiens brillants qui semblent se délécter autant que nous des tournures sublimes de phrases, de l'ironie palpable, entourée d'un papier d'hypocrisie légère.
Délicieux, les dialogues servent pourtant avec candeur et ironie une histoire sublime où grands sentiments et délicates attentions font bon ménages, où le doux et "l'innocence" contrastent avec le cruel et l'indélicat.
Blessant, toujours touchant, le film se révèle une pépite d'émotions, et bouscule au plus haut point, à l'image de cette fin magnifique, douce amère où se mêlent joie simple et indicible à un malheur profond, moqueur et ironique.
On ne savait pas Scorsese aussi subtil et aussi touchant, aussi à même de traiter aussi royalement une histoire classique d'amour et de déchirements. Et l'on n'avait de cesse de se tromper.
Mais que les amoureux des films mafieux se rassurent ; deux ans plus tard il tournera son plus grand film, Casino.
Mais pour l'heure, Le Temps De L'Innocence se révèle être un chef d'oeuvre de plus de la part de Scorsese.

Charles Dubois

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