The Age of Innocence est un film d’une maîtrise technique absolue qui explore avec subtilité les mécanismes de l’âme humaine.


Ce qui marque tout d’abord dans cette œuvre, c’est la volonté perfectionniste quasi-Kubrickienne du réalisateur de vouloir recréer non pas une mais deux époques différentes : d'abord les années 1870 et notamment ce tout jeune New-York – sa ville qu’il représenta souvent au cours de sa carrière – essayant de se rattacher à la plus pure tradition européenne, et le Paris début XXe. Pour ce faire, Scorsese fait appel, avec des ressources presque inépuisables, à la magnificence des décors – tous plus splendides les uns que les autres –, à la richesse exubérante des costumes et des toilettes, et toute la beauté des tableaux de cette période, celle de la vaisselle et même celle de la gastronomie et de l’art floral ; en bref de tous les expédients que peut requérir la re-création d’une époque ; et la musique de ce film en constitue une anthologie, qui colle parfaitement aux séquences qu’elle illustre.


En ce qui concerne les aspects techniques de ce film, Scorsese use des procédés les plus variés. On retrouve d’abord un travelling arrière dans un jardin (qui n’est pas sans rappeler Orson Welles). Une lumière tout à fait prodigieuse illumine l’ensemble des scènes avec délicatesse et en souligne même l’action, comme par exemple lorsque Newland lit la lettre de départ d’Ellen et que s’éteint toute lumière sauf au contour de ses yeux pour signifier aux spectateurs le trouble de sa pensée et la solitude qu’il ressent ; certaines séquences se voient ainsi dominées par une teinte : entre autres cette scène à la couleur blanche tout simplement époustouflante (ce genre de séquences inspirera certainement Wes Anderson). La photographie est des plus exceptionnelles – comme ce plan où Newland avance dans la neige – et évoque à sa manière les tableaux d’autrefois. Le réalisateur fait également appel à toute une science du cadrage et de la mise en scène (dans le jardin, où la fiancée de Newland se retrouve hors du cadre donc hors de ses pensées) et à des mouvements de caméra virtuoses (cette soirée où on l’on passe tous les invités en revue, cette table richement fournie). Le plan-séquence y est tout à la fois discret et diablement efficace. On retrouve aussi des jeux de montages typiquement scorsesien, comme lors de l’utilisation des jumelles en début de film, des ralentis splendides aux moments les plus cruciaux, ou encore l’emploi du regard caméra pour nous faire vivre la lecture d’une lettre telle que l’imagine le personnage et donc comme si nous en étions le destinataire.


Cette liste paraît très artificielle ainsi présentée, mais chaque élément se superpose aux précédents pour former une œuvre à même de toucher le spectateur – en l’occurrence moi – d’une véritable émotion artistique.


D’autre part, sous ses airs de mélodrame, The Age of Innocence représente avec une justesse, digne des plus grands romans de l’école Romantiques, les passions qui traversent les esprits des protagonistes. Martin Scorsese dirige avec virtuosité un trio d’acteurs formidables (autour desquels les seconds rôles ne déméritent pas non plus) : Daniel Day-Lewis absolument remarquable dans le rôle de Newland Archer, homme aux sentiments versatiles, qu’il interprète sans une seule fausse note, et deux des plus belles actrices de l’époque à savoir Michel Pfeiffer aux charmes diaboliques et Winona Ryder, plus candide que jamais. Tous leurs sentiments sont exposés devant nos yeux avec beaucoup d’à propos et sans mièvrerie aucune, notamment grâce à une narration grandiose qui rappelle la dimension romanesque du film et explore même les rouages de cette société aristocratique, ce qui nous permet de découvrir, derrière le paravent des amours incertaines, les jeux de pouvoir et de réputation de la haute société New-Yorkaise de la fin XIXe.


On le voit, il s’agit d’une œuvre totale tournée vers le passé, hommage de Scorsese au cinéma d’antan (auquel il reviendra avec Hugo Cabret), pour en conserver l’essence unique de l’émotion. En effet, si j’ai eu à dissocier chaque élément pour les évoquer dans leur individualité, c’est bien leur assemblage et leur fusion qui rend l’expérience du visionnage unique.

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le 20 oct. 2015

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Gwynplain

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