Cette critique s'appuie sur la fin du film.


Il est curieux de voir qu'en pleine explosion du soft power américain, qui propagea sa propagande de grand pays courageux et fier par le biais du cinéma de divertissement (situation toujours inchangée aujourd'hui), Fred Zinneman réalisa une duologie étalée sur seulement deux ans, et ancrée sur les deux mythes fondateurs de la nation dirigeante du Nouveau-Monde : d'abord le western (High Noon), puis la guerre (Tant qu'il y aura des hommes).


De ce premier film, Le train sifflera trois fois, il est à retenir qu'on se trouve bien loin des films de cowboys héroïques des années 40-50, où le bel homme bien typé charismatique mettra fin aux agissements d'une bande de voyous, sous le regard aimant d'une population en détresse. Hugh Noon traite enfin de l'Amérique comme d'un pays banal qui comporte autant ses figures courageuses qu'une grande part de lâches pas capables de lever le petit doigt pour venir en aide à leur prochain : vénalité, trahison, sens de l'honneur inexistant, tant de personnalités humaines sont retranscrites durant les 1h20 de déroulé qu'on se dit qu'il incarne l'un des westerns sociaux les plus réalistes qui soient.


Et ce propos engagé, Zinneman le tempère en montrant une ville certes effrayée par le retour de ses anciens tortionnaires, mais qui n'agit surtout pas par peur, pour certains, d'abandonner une vie aisée : ainsi que l'exprime cette magnifique scène de débat dans l'Eglise, s'ils veulent continuer de s'occuper de leurs enfants, de faire vivre la communauté de cette petite bourgade, il leur faudra abandonner les hommes de bien.


Voilà un dilemme que l'on retrouve également du côté des amours du personnage principal, interprété avec un grand charisme paternel par un Gary Cooper expérimenté et touchant, qui sont constamment tiraillés entre la promesse de jours heureux pour la magnifique Grace Kelly, et l'espoir de revivre la beauté d'instants partagés mais révolus pour l'impressionnante Katy Jurado; deux femmes pour un homme qui se combattent par les regards froids et leurs répliques cinglantes, et qui participent à une bonne partie du drame ambiant.


Ce plan des deux qui quittent la ville en fin de bobine est des plus représentatifs : l'ancienne amante se retournent pour le voir une dernière fois, et la femme avec laquelle il se maria le jour même, détruite, ne jette aucun regard en arrière. Et tandis qu'on croit courir vers une déchéance abominable, voilà que l'impensable se produit : Grace Kelly, mariée depuis moins d'un jour, quitte le train en partance de la ville et laisse derrière elle ses bagages, ses peurs, et l'ancien amour de son mari, jusqu'à participer d'elle-même à la bataille finale, et changer le cours d'un destin qu'on pensait désastreux du début jusqu'à ses cinq dernières minutes.


Cette dualité qui permet au juste de triompher sur le tortionnaire semble représenter, aux yeux de Zinneman, le caractère profond d'une Amérique en quête d'Histoire : le courage vient ici de la maturation d'une idée suicidaire mais juste, seule alternative face à la vengeance programmée, et c'est dans la certitude du baroud d'honneur que survient le véritable courage américain, toujours pur et sublime, incarné par une figure d'homme charismatique parce qu'on sent, rien qu'en détaillant son visage, toute son expérience de Marshall.


Cooper est d'autant plus légitime qu'il abandonnait de base son métier pour profiter pleinement de rendre heureuse sa femme, et que c'est par courage qu'il est revenu en ville : bien plus que pour la défendre, il veut défendre son honneur et ne pas laisser les pervertis l'emporter. Ainsi, l'Amérique de Zinneman, loin des jeunes bidasses du débarquement ou des figures héroïques qui tirent de partout sans avoir de blessures graves, est sublimée par le caractère solitaire du courage de ses rejetons, dressés entre une ville et sa bande de voyous, dernière incarnation d'une justice qu'on n'applique plus.


Avec, en prime, un ultime plan large démontrant toute la lâcheté d'une ville qui regarde partir, en silence, la dernière figure honorable de sa communauté. Le train sifflera trois fois, ou l'Amérique véritable qui se glorifie en dévoilant ses failles les plus profondes.

FloBerne

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